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2- Le royaume de Dieu


« C’est pourquoi, je vous le dis, le royaume de Dieu vous sera enlevé et sera donné à une nation qui en rendra les fruits. »1


C’est précisément à la suite de la parabole des vignerons où est décrite la manière dont les fils d’Israël ont persécuté et tué les prophètes que Jésus annonce à ses contemporains juifs que le royaume de Dieu leur sera enlevé et donné à une autre nation. Mais quelle est donc cette « nation » qui héritera du royaume de Dieu et qui en rendra les fruits ? Selon les chrétiens, cette nation est celle des Gentils, c’est-à-dire, tous les peuples non juifs. Pourtant, le terme grec employé ne laisse aucune place au doute, le singulier « ethnos » et non le pluriel « ethnè » : le royaume de Dieu sera donné à une seule nation, non à toutes les nations de la terre. Précision importante : le grec « ethnos » renferme l’idée de race. Il a notamment donné le français « ethnie ». Il s’agit donc ici d’une seule race et non de toutes les races de la terre.


Cette prophétie de Jésus est à rapprocher de ces paroles que Moïse rapporte de son Seigneur au sujet des Hébreux : « Ils ont excité ma jalousie par ce qui n’est point Dieu. Ils m’ont irrité par leurs vaines idoles. Et moi, j’exciterai leur jalousie par ce qui n’est point un peuple. Je les irriterai par une nation insensée. »2 Selon les commentateurs musulmans, cette « nation insensée », c’est-à-dire, ignorante, ne peut être que la nation arabe à laquelle la mission de prophète va être confiée. En effet, les Arabes, avant l’islam, ne formaient pas un peuple uni, mais une multitude de tribus


1 Matthieu 21, 43.


2 Deutéronome 32, 21.


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toujours en conflit et qui se caractérisaient par une telle ignorance que l’époque préislamique est précisément désignée dans le Coran comme « l’époque de l’ignorance » (Jahiliyya)1. Décrivant les moeurs des Bédouins de l’Arabie préislamique, l’historien anglais Edward Gibbon (1737-1794) écrit très justement : « Une vague ressemblance d’idiomes et de moeurs était le seul lien qui constituât ces tribus en corps de nation ; et, dans chaque communauté, la juridiction du magistrat était impuissante et muette ; la tradition conserve le souvenir de dix-sept cents batailles, données à ces époques d’ignorance qui précédèrent Mahomet. »2


La prophétie de Jésus est également à rapprocher de ces paroles du Seigneur rapportées en Esaïe 65, 1 : « J’ai exaucé ceux qui ne demandaient rien. Je me suis laissé trouver par ceux qui ne me cherchaient pas. J’ai dit : Me voici, me voici à une nation qui ne s’appelait pas de mon nom. » La nation qui s’appelle du nom de Dieu est sans aucun doute Israël, nom formé sur le suffixe « El » qui signifie « Dieu » en hébreu, remplacée par la nation arabe qui ne porte pas en elle le nom de l’Eternel.


Jésus est venu annoncer plutôt qu’établir ce « royaume de Dieu » qui sera instauré par un autre que lui. Il répète en effet à plusieurs reprises durant sa vie publique que le Royaume n’est pas encore arrivé : « Il disait : Le temps est accompli, et le royaume de Dieu est proche. Repentez-vous, croyez à la bonne nouvelle. »3 L’avènement prochain du royaume de Dieu est donc la « bonne nouvelle » que Jésus est venu annoncer. Rappelons que le terme évangile, tiré du grec « euaggelion », signifie précisément


1 Sourate 3, verset 154. 2 The History of the Decline and Fall of the Roman Empire, Edward Gibbon, London, Strahan&Cadell, 1776-1788.


3 Marc 1, 15.


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« bonne nouvelle ». La principale mission de Jésus est donc d’annoncer le Royaume de Dieu à son peuple, les juifs, afin qu’ils s’y préparent. « Et l’on ne se trompera pas en voyant dans « le royaume de Dieu » le concept fondamental de la prédication de Jésus », peut-on lire dans le Dictionnaire de la Bible Vigouroux1. L’expression « royaume de Dieu », sous ses différentes formes, se retrouve donc près de cent fois dans la bouche de Jésus qui utilise pas moins de onze paraboles pour le décrire à ses fidèles2. Il dit lui-même : « Il faut aussi que j’annonce aux autres villes la bonne nouvelle du royaume de Dieu, car c’est pour cela que j’ai été envoyé. »3 Le royaume de Dieu est donc à venir, il n’est pas contemporain de Jésus qui demande à ses fidèles de l’attendre et de s’y préparer.


Pour les musulmans, cette nation qui héritera du royaume de Dieu et qui en rendra les fruits ne peut être que celle qui descend d’Abraham à travers Ismaël, c’est-à-dire, les Arabes. Car, si les fils d’Israël, descendants d’Isaac, ont rompu l’alliance conclue avec leur ancêtre Abraham et renouvelée avec Moïse, les fils d’Ismaël, sont plus en droit que quiconque d’hériter de la mission prophétique, compte tenu de la promesse faite à Abraham en Genèse 17, 20 de faire de son premier-né, Ismaël, et de sa descendance, une grande nation.


Voici le passage de Genèse 17, 20 en question où Dieu dit à Abraham : « A l’égard d’Ismaël, je t’ai exaucé. Voici, je le bénirai, je le rendrai fécond, et je le multiplierai à l’infini. Il engendrera douze princes, et je ferai de lui une grande nation. »


1 Dictionnaire de la Bible Vigouroux, Paris, 1912, tome 5, première partie, p. 1242.


2 Matthieu 13, 31-47.


3 Luc 4, 43.


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Dieu annonce ici à Abraham qu’il multipliera et bénira la descendance d’Ismaël, ancêtre des Arabes et du plus illustre d’entre eux, le prophète Muhammad. Or, de l’avis même des rabbins, cette prédiction s’est bel et bien réalisée plus de 2000 ans après la promesse faite à Abraham avec l’avènement du prophète Muhammad et de l’islam. On peut ainsi lire dans la traduction de la Torah aux éditions Edmont J. Safra, au niveau de ce passage de la Genèse, ce commentaire de Rabbi Bekhaye qui cite Rabbi Khanael, deux éminents rabbins des 13ème et 11ème siècles : « Nous voyons que l’accomplissement de la promesse faite ici à Ichmaël a mis 2333 ans à s’accomplir [avec l’essor de l’Islam au septième siècle de l’ère courante]. Ce retard n’était pas dû à leurs fautes…Durant cette longue période, les descendants d’Ichmaël ont continué à nourrir un ardent espoir jusqu’à ce que la promesse s’accomplisse finalement et qu’ils dominent le monde. Nous-mêmes, descendants d’Isaac, qui devons attribuer à nos fautes le fait que les promesses qui nous ont été faites ne se réalisent pas…ne devons-nous pas, a fortiori, espérer la réalisation de la promesse de Dieu et ne pas désespérer ? »1 Le commentaire entre crochets est celui des rabbins contemporains qui ont collaboré à cette édition, qui clarifient donc l’explication de Rabbi Bekhaye. Selon ces rabbins, en promettant à Abraham de faire d’Ismaël une grande nation, le Seigneur annonce l’avènement de la nation musulmane et donc de son prophète : Muhammad, le plus illustre de ses descendants.


1 Le Houmach, éditions Edmont J. Safra, 2014, p. 79.


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3- Le fils de l’homme


« C’est pourquoi, vous aussi, tenez-vous prêts, car le Fils de l’homme viendra à l’heure où vous n’y penserez pas. »1


Quiconque lit ces paroles de Jésus sans les commentaires chrétiens qui les accompagnent généralement en déduira sans le moindre doute que celui-ci annonce la venue d’un autre que lui, appelé « Fils de l’homme » et d’une importance capitale, comme le prouvent les mots : « tenez-vous prêts ». L’expression « Fils de l’homme » est bien connue des juifs auxquels s’adresse Jésus. Elle fait référence à la vision de Daniel dans laquelle le prophète juif voit quatre bêtes symbolisant les empires babylonien, médo-perse et grec, et enfin l’empire romain qui sera détruit par le « Fils de l’homme », lequel établira un cinquième empire, indestructible et fondé sur une religion. L’expression « Fils de l’homme » fait en particulier allusion à ce passage qui décrit le « Fils de l’homme » par lequel le royaume de Dieu sera établi à jamais sur terre : « Je regardai pendant mes visions nocturnes, et voici, sur les nuées des cieux arriva quelqu’un de semblable à un fils de l’homme. Il s’avança vers l’ancien des jours et on le fit approcher de lui. On lui donna la domination, la gloire et le règne, et tous les peuples, les nations, et les hommes de toutes langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle qui ne passera point, et son règne ne sera jamais détruit. »2


Les commentateurs chrétiens expliquent pourtant, contre toute évidence, que Jésus, en Matthieu 24, 44, parle de lui-même, annonçant son propre retour : la parousie. Or, comme ici, la formule


1 Matthieu 24, 44.


2 Daniel 7, 13-14.


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« Fils de l’homme », qui apparaît près de quatre-vingts fois dans la bouche de Jésus, est toujours employée à la troisième personne, comme s’il s’agissait d’un autre que lui. Ainsi, Luc fait dire à Jésus : « Je vous le dis, quiconque me confessera devant les hommes, le Fils de l’homme le confessera aussi devant les anges de Dieu, mais celui qui me reniera devant les hommes sera renié devant les anges de Dieu. »1 Voici le même passage rapporté par Marc : « Car quiconque aura honte de moi et de mes paroles au milieu de cette génération adultère et pécheresse, le Fils de l’homme aura aussi honte de lui. »2 Ce passage est si problématique pour Matthieu qu’il croit nécessaire d’éliminer l’expression « Fils de l’homme » au profit du pronom « je », bien plus naturel à cet endroit après le pronom « me », si évidemment Jésus parle de lui-même : « C’est pourquoi, quiconque me confessera devant les hommes, je le confesserai aussi devant mon Père qui est dans les cieux. Mais quiconque me reniera devant les hommes, je le renierai aussi devant mon Père qui est dans les cieux. »3


Or, l’interprétation dominante depuis Rudolf Bultmann4 est que, puisque Jésus parle du Fils de l’homme à la troisième personne, c’est qu’il désigne un autre que lui. Jésus se serait lui-même considéré


1 Luc 12, 8-9.


2 Marc 8, 38.


3 Matthieu 10, 32-33.


4 Die Frage nach dem messianischen Bewusstsein Jesu und das Petrus-Bekenntnis, ZNW 19, 1919-1920, p. 165-174. Rudolf Bultmann, fils d’un pasteur luthérien allemand, est décrit par le philosophe français André Malet comme « sans doute l’exégète moderne le plus éminent du Nouveau Testament ». Bultmann, Hahn, Tödt et Fuller, parmi les plus grands critiques de la Bible, considèrent que Jésus, à travers le Fils de l’homme, annonce une personne qui viendra après lui afin de juger les hommes.


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comme le précurseur d’un autre personnage salvateur. Ce n’est qu’après Pâques, où Jésus serait apparu à certains de ses disciples qui le croyaient mort sur la croix, que les premiers chrétiens l’auraient identifié à cette figure salvatrice du Fils de l’homme. D’ailleurs, les disciples de Jésus ne lui attribuent jamais dans les Évangiles le titre de « Fils de l’homme », contrairement à celui de « Fils de Dieu » employée treize fois par eux dans le Nouveau Testament pour désigner le Messie. De même, ce titre n’est jamais appliqué à Jésus par Paul qui connaît parfaitement les Ecritures, et notamment la vision de Daniel, et qui n’aurait pas manqué d’attribuer ce titre glorieux à celui qu’il a élevé au rang de Dieu. Ce titre est également absent des formules du credo chrétien.


Tout ceci fait dire à certains commentateurs tel Lietzmann, dans Der Menschensohn (1896), que « l’expression araméenne de l’Evangile, barends (fils de l’homme), n’a pu ni constituer un titre messianique, ni apparaître dans la littérature chrétienne avec ce sens qu’entre les années 60 et 90 », c’est-à-dire, tardivement1.


Par ailleurs, la description du fils de l’homme de Daniel ne correspond en rien à Jésus qui n’a pas détruit l’empire romain répondant au contraire à celui qui lui demandait s’il était permis de payer le tribut à César : « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. »2 Les premiers chrétiens, oubliant ces paroles du Messie : « Mon royaume n’est pas de ce monde »3, attendaient donc le retour imminent du Fils de l’homme, Jésus, descendant des nuées et entouré d’anges, afin d’établir le royaume de Dieu sur terre. Et ils l’attendent jusqu’à ce jour !


1 Voir Dictionnaire de la Bible Vigouroux, tome 2, deuxième partie, p. 2258.


2 Matthieu 22, 17-21.


3 Jean 18, 36.


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En revanche le fils de l’homme de Daniel correspond parfaitement au prophète Muhammad, à l’origine du royaume de Dieu, l’empire musulman, seul empire fondé sur la religion de Dieu, comme l’affirme Gustave Le Bon : « L’idéal créé par Mahomet fut exclusivement religieux, et l’empire fondé par les Arabes présente ce phénomène particulier d’avoir été le seul grand empire uniquement établi au nom d’une religion, et faisant dériver de cette religion même toutes ses institutions politiques et sociales. »1


1 La civilisation des Arabes, Gustave Le Bon, éditions La Fontaine au Roy, 1990.


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Chapitre 4


Jésus dans le Coran


1- Le Jésus coranique


Le Jésus coranique est étonnement identique au Jésus historique décrit aujourd’hui par la plupart des chercheurs comme un prophète juif venu réformer le judaïsme, plutôt que fonder une nouvelle religion, un homme qui n’a enseigné aucun des principaux dogmes du christianisme que sont la trinité, la filiation divine, l’incarnation et la rédemption. Voici un résumé de la description de Jésus par le Coran :


Sa mère fut élue parmi toutes les femmes


(Les anges dirent : « Marie ! En vérité, Dieu t’a élue, purifiée et préférée à toutes les femmes de l’univers. »)1


Sa naissance fut miraculeuse


(Marie s’étonna : « Comment, Seigneur, pourrais-je avoir un enfant alors qu’aucun homme ne m’a touchée ? » Il répondit : « Il en sera ainsi. Dieu crée ce qu’Il veut. Il Lui suffit, lorsqu’Il décrète une chose, de dire « Sois », et celle-ci s’accomplit. »)2


1 Sourate 3, verset 42.


2 Sourate 3, verset 47.


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Mais il ne fut qu’un homme


(La naissance de Jésus est, pour Dieu, tout aussi miraculeuse que la création d’Adam qu’Il fit de poussière et auquel Il dit : « Sois », si bien qu’il fut homme)1.


Il fut un serviteur de Dieu comme les autres


(Jésus a dit : « Je suis le serviteur de Dieu. »)2


Il est le Verbe de Dieu projeté en Marie et un Esprit émanant de Lui


(Le Messie, Jésus fils de Marie, n’est que le Messager de Dieu, Son Verbe qu’Il a projeté en Marie et un Esprit émanant de Lui)3.


Pour les musulmans, Jésus est né d’un « verbe de Dieu » dans la mesure où il est né sans père, de l’ordre divin « Sois » qui eut pour conséquence sa naissance miraculeuse. Jésus est donc le fruit du verbe de Dieu, et non lui-même le verbe de Dieu qui se serait fait chair. On est donc loin de la croyance chrétienne en l’incarnation du Verbe - Dieu lui-même - en la personne de Jésus. Le verbe divin auquel le verset coranique fait allusion est donc le fiat divin, tandis que le verbe divin des chrétiens correspond au Logos, notion elle-même empruntée à la pensée grecque où elle désigne la raison ou la sagesse divine. Là encore, l’interprétation musulmane est un retour aux sources puisque dans le judaïsme, le « verbe » (dabar) est uniquement et simplement la parole créatrice de Dieu. Ainsi dans la Septante - traduction grecque de l’Ancien Testament - le terme « logos » traduit l’hébreu « dabar ». Il désigne donc la « parole » - parole créatrice - jamais la « raison ». On peut lire dans l’Ancien Testament :


1 Sourate 3, verset 59.


2 Sourate 19, verset 30.


3 Sourate 4, verset 171.


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« Les cieux ont été faits par la parole (dâbâr) de l’Eternel. »1 Là encore, l’islam rejoint le judaïsme, contre le christianisme, en voyant dans le « verbe de Dieu » la parole créatrice de Dieu et non le fils de Dieu qui se serait incarné en Jésus.


Il n’est pas une incarnation de la Divinité


(Ont assurément rejeté la foi ceux qui affirment que Dieu s’est incarné dans la personne du Messie, fils de Marie)2.


Le théologien britannique John Hick écrit : « Autre point sur lequel s’est formé un large consensus parmi les spécialistes du Nouveau Testament, et qui est plus important encore pour comprendre le développement de la christologie : le Jésus historique n’a jamais prétendu à la divinité que les chrétiens lui ont par la suite attribuée. Il n’a jamais pensé être l’incarnation de Dieu ou le Fils de Dieu. »3


Point de vue confirmé par l’historien Francis Young dans The Myth of God Incarnate (Le mythe de l’incarnation) : « Ce sont les convertis chrétiens de culture grecque qui ont transformé Jésus, juif palestinien, en un dieu incarné. » On peut lire ce qui suit dans le même ouvrage : « Les chercheurs sont convaincus de la nécessité d’une évolution théologique aujourd’hui, à la fin du vingtième siècle, en raison de la quantité grandissante d’informations sur les origines du christianisme qui indiquent notamment que Jésus était un être humain élu par Dieu pour jouer un rôle spécifique dans le plan divin et que la croyance tardive qu’il était le Dieu incarné - la deuxième personne de la sainte Trinité - qui a vécu comme un homme, reposait sur des formules lyriques et poétiques dont le but était simplement de souligner son importance pour nous. Il est important


1 Psaumes 33, 6.


2 Sourate 5, verset 72.


3 The Metaphor of God Incarnate, Hick, Westminster John Knox Press, 1993, p. 27.


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de reconnaître cela afin de rétablir la vérité, mais aussi dans nos relations avec les adeptes des autres religions majeures. »1


Il n’est pas la troisième personne de la Trinité


(Ont assurément rejeté la foi ceux qui affirment que Dieu est la troisième personne d’une trinité. Car il n’y a qu’un seul Dieu)2.


Tom Harpur, théologien anglican, écrit dans son livre intitulé For Christ’s Sake (Pour la cause du Christ) : « On ne trouve aucune mention du dogme de la Trinité dans la Bible. Et si Saint Paul avait une vision large du rôle et de la personne de Jésus, à aucun moment il n’affirme que Jésus est Dieu. Jésus lui-même n’a jamais prétendu qu’il était la deuxième personne de la Trinité et qu’il occupait exactement le même rang que Dieu. En tant que juif pieux, il aurait même condamné ce genre de pensée. »3


Il fut un prophète comme les autres


(Le Messie, fils de Marie, n’est qu’un Messager, à l’image de ceux qui l’ont précédé)4.


Bart Ehrman, professeur à la faculté de théologie de l’université de Caroline du Nord, spécialiste du Nouveau Testament, résume l’opinion qui prévaut aujourd’hui parmi les spécialistes de la Bible au sujet de la nature de Jésus : « Depuis plus d’un siècle maintenant, depuis la publication historique du chef-d’oeuvre d’Albert Schweitzer, La quête du Jésus historique, la majorité des spécialistes en


1 Les « autres religions majeures » sont l’islam et le judaïsme qui rejettent unanimement et catégoriquement les idées de divinité du Christ et d’incarnation qui, pour eux, sont les formes les plus choquantes de paganisme.


2 Sourate 5, verset 73.


3 For Christ’s Sake, Tom Harpur, Beacon Press, Boston, 1987, p. 11.


4 Sourate 5, verset 75.


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Europe et en Amérique du Nord considèrent Jésus comme un prophète apocalyptique juif. »1


Il est le Messie promis aux juifs


(Les anges dirent : « Marie ! Dieu t’annonce la naissance d’un fils né d’un verbe émanant de Lui, qui aura pour nom le Messie, Jésus fils de Marie, honoré ici-bas et dans l’au-delà, et du nombre des plus proches élus du Seigneur. »)2


Assisté de l’Esprit Saint, il a réalisé des miracles prodigieux


(Nous avons permis à Jésus, fils de Marie, de réaliser des miracles prodigieux et l’avons assisté de l’Esprit Saint)3.


Ce verset est une réponse évidente à ceux qui, en raison de ses miracles prodigieux, ont élevé Jésus au rang de Dieu.


Il a confirmé la Torah tout en abrogeant une partie de ses lois


(Je viens confirmer les enseignements révélés avant moi dans la Torah, tout en levant une partie des interdits qui vous étaient imposés)4.


Il a prêché le culte exclusif du Seigneur


(Jésus dit : « Dieu, en vérité, est mon Seigneur et le vôtre auquel vous devez un culte exclusif et sincère. Telle est la voie du salut. »)5


1 Jesus, Interrupted, Bart Ehrman, Harper Collins, 2009, p. 156.


2 Sourate 3, verset 45.


3 Sourate 2, verset 87.


4 Sourate 3, verset 50.


5 Sourate 3, verset 51.


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Il n’est pas mort sur la croix


(Ils ne l’ont ni tué, ni crucifié, mais furent seulement le jouet d’une illusion)1.


Mais il a été élevé au ciel


(Ils ne l’ont certainement pas tué, mais Dieu l’a élevé vers Lui)2.


Son retour, à la fin des Temps, sera l’un des signes de l’Heure


(Il sera un signe précurseur de l’Heure, au sujet de laquelle nul doute n’est permis)3.


Le Jour dernier, il condamnera ceux qui lui auront voué un culte


(Dieu dira : « Jésus fils de Marie ! Est-ce toi qui as demandé aux hommes de t’élever, toi et ta mère, au rang de divinités en dehors de Dieu ? » Il répondra : « Gloire à Toi ! Il ne m’appartient pas de m’attribuer ce rang sans droit. L’aurais-je d’ailleurs fait que Tu le saurais. Tu connais, en effet, les secrets de mon âme, tandis que Tes secrets me sont inconnus. »)4


De son vivant, il a annoncé l’avènement de Muhammad


(Jésus, fils de Marie, dit : « Fils d’Israël ! Je suis le Messager que Dieu vous a envoyé, confirmant les enseignements de la Torah révélés avant moi et annonçant l’avènement d’un Messager qui viendra après moi dont le nom sera Ahmad5. »)6


1 Sourate 4, verset 157.


2 Sourate 4, versets 157-158.


3 Sourate 43, verset 61.


4 Sourate 5, verset 116.


5 L’un des noms du prophète Muhammad.


6 Sourate 61, verset 6.


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2- Fils de Dieu ou prophète ?


Comme nous l’avons montré précédemment, le Jésus coranique se différencie du Jésus chrétien essentiellement par sa nature et sa fonction : simple prophète pour les musulmans, fils de Dieu pour les chrétiens. Ce chapitre a pour but de démontrer, textes des évangiles à l’appui, que le Christ n’est qu’un prophète et que le dogme chrétien de la nature divine du Christ ne repose sur aucune parole de Jésus qui s’est au contraire présenté comme un prophète, un simple homme donc, bien qu’entretenant une relation très intime avec son Seigneur. Voici certaines de ses paroles, tirées des Evangiles, qui contredisent clairement le dogme de la filiation divine de Jésus :


1. « Pourquoi m’appelles-tu bon ? Il n’y a de bon que Dieu. »1


2. « Va trouver mes frères et dis-leur que je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. »2


3. « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. »3


4. « En vérité, je vous le dis, le serviteur n’est pas plus grand que son seigneur, ni l’apôtre plus grand que celui qui l’a envoyé. »4


5. « Aucun prophète n’est bien reçu dans sa patrie. »5


1 Marc 10, 18.


2 Jean 20, 17.


3 Jean 17, 3.


4 Jean 13, 16.


5 Luc 4, 24.


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6. « La parole que vous entendez n’est pas de moi, mais du Père qui m’a envoyé. »1


7. « Celui qui vous reçoit me reçoit, et celui qui me reçoit, reçoit celui qui m’a envoyé. Celui qui reçoit un prophète en qualité de prophète recevra une récompense de prophète. »2


8. « N’appelez personne sur la terre votre père; car un seul est votre Père, celui qui est dans les cieux. Ne vous faites pas appeler directeurs; car un seul est votre Directeur, le Christ. »3


Et si l’expression « fils de Dieu » est employée treize fois dans le Nouveau Testament pour désigner Jésus, elle ne l’est jamais par lui, mais par ses disciples. En outre, le titre de fils de Dieu est attribué à d’autres personnages bibliques : Adam (Luc 3, 38), David (Psaumes 2, 7) ou Salomon (1 Chroniques 22, 10), mais aussi aux anges, êtres rapprochés de Dieu (Job 1, 6). Le peuple d’Israël lui-même est désigné comme le « premier-né » de Dieu (Exode 4, 22). Tout ceci prouve que l’expression « fils de Dieu » signifie, en réalité, « élu de Dieu », « saint de Dieu » ou « bien-aimé de Dieu ». On peut ainsi lire dans le Nouveau Testament : « Voyez quel amour le Père nous a témoigné, pour que nous soyons appelés enfants de Dieu ! »4 Jésus lui-même applique cette formule à ses disciples : « Heureux ceux qui procurent la paix, car ils seront appelés fils de Dieu ! »5


L’hébreu, comme toutes les langues sémitiques, accorde au terme « fils » de multiples sens dérivés du sens premier. Voici ce qu’écrit à ce sujet André-Marie Gérard : « Au regard des auteurs inspirés, sans


1 Jean 14, 24.


2 Matthieu 10, 40-41.


3 Matthieu 23, 9-10.


4 1 Jean 3, 1.


5 Matthieu 5, 9.


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doute tous les êtres sont-ils d’une certaine manière « fils » de leur Créateur, mais les proches de Dieu par leur fonction ou leur rang, par leur foi ou leur fidélité, paraissent mériter mieux que d’autres d’être dits « fils de Dieu ». »1


Et la critique textuelle confirme le dogme musulman sur Jésus. Charles Guignebert, titulaire de la chaire du christianisme à la Sorbonne de 1919 à 1937, pour qui Jésus était un prophète de la lignée des prophètes d’Israël, écrit à ce sujet : « Jésus ne se dit jamais Dieu : Fils de Dieu, entendu au sens précis et orthodoxe, est monstrueux et même inconcevable pour un Juif ; or, la pensée de Jésus est juive, c’est indéniable. D’ailleurs, pas une fois l’accusation de s’être prétendu Dieu n’est dressée contre lui par les Juifs, ni au cours de son procès ni aux temps apostoliques. C’est là, semble-t-il, un argument décisif. »2 Plus près de nous, Bart Ehrman résume l’opinion qui prévaut aujourd’hui parmi les spécialistes de la Bible au sujet de la nature de Jésus : « Depuis plus d’un siècle maintenant, depuis la publication historique du chef-d’oeuvre d’Albert Schweitzer, La quête du Jésus historique, la majorité des spécialistes en Europe et en Amérique du Nord considèrent Jésus comme un prophète apocalyptique juif. »3 Le théologien britannique John Hick parle même de consensus à ce sujet : « Autre point sur lequel s’est formé un large consensus parmi les spécialistes du Nouveau Testament, et qui est plus important encore pour comprendre le développement de la christologie : le Jésus historique n’a jamais prétendu à la divinité que les chrétiens lui ont par la suite attribuée. Il n’a jamais pensé être l’incarnation de Dieu ou le Fils de Dieu. »4


1 Le Dictionnaire de la Bible, p. 402.


2 Manuel d’histoire ancienne du christianisme, Charles Guignebert, Paris, 1906, p. 222.


3 Jesus, Interrupted, Bart Ehrman, Harper Collins, 2009, p. 156.


4 The Metaphor of God Incarnate, Hick, Westminster John Knox Press, 1993, p. 27.


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La critique textuelle du Nouveau Testament a montré que les textes des évangiles ont été transformés au fil des siècles par les scribes, soucieux d’établir la divinité de Jésus, et par les traducteurs de la Bible, qui ont également tenté de souligner la filiation divine du Christ. Plusieurs passages de la Bible permettent de comprendre de quelle manière les textes sont manipulés à des fins apologétiques.


Le premier passage (Matthieu 24, 36) est traduit ainsi par Louis Segond : « Pour ce qui est du jour et de l’heure, personne ne le sait, ni les anges des cieux, ni le Fils, mais le Père seul. » Or, ni la fameuse traduction anglaise King James, ni la Reina-Valera, traduction espagnole de référence, ne mentionnent « le Fils » dans ce passage. Le terme est pourtant présent dans les Codex sinaiticus et vaticanus, les deux plus anciens manuscrits complets du Nouveau Testament. Le but est évidemment de ne pas laisser croire que Jésus ne connaît pas les mystères, ce qui jetterait un doute sur sa divinité.


Voici le deuxième passage (Hébreux 3, 1-2) : « Considérez l’apôtre et le souverain sacrificateur de la foi que nous professons, Jésus, qui a été fidèle à celui qui l’a établi…» Le terme « établi » est une traduction fallacieuse du grec « créé » que l’on retrouve dans les originaux grecs les plus anciens. Le but est évidemment de valider le credo de Nicée qui affirme que Jésus n’est pas une simple créature de Dieu, mais qu’il est « né du Père, c’est-à-dire de la substance du Père, Dieu de Dieu, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu ; engendré, et non fait, consubstantiel au Père ».


Autre exemple - Ephésiens 3, 14 - où l’on peut lire dans certains manuscrits : « A cause de cela, je fléchis les genoux devant le Père, le Seigneur Jésus-Christ ». Or, les mots : « le Seigneur Jésus-Christ » n’apparaissent pas dans les manuscrits les plus anciens.


L’expression « fils de Dieu », présente dans le Nouveau Testament, est parfois la traduction déformée de la formule « élu de Dieu » que


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l’on retrouve en effet dans les manuscrits les plus anciens, le Codex sinaiticus, le Codex alexandrinus, la version copte, les manuscrits latins anciens et les manuscrits syriaques anciens. Ainsi, la formule « fils de Dieu » dans Jean 1, 34 remplace en réalité la formule « élu de Dieu » dans le Codex sinaiticus.


La formule « fils de Dieu » est parfois une traduction déformée de l’expression « saint de Dieu » présente dans les manuscrits les plus anciens. Ainsi l’expression « fils de Dieu », dans certaines traductions de Jean 6, 69, est employée en lieu et place de la formule « saint de Dieu » que l’on trouve dans le Codex sinaiticus et le Codex vaticanus.


La formule « fils de Dieu » par laquelle Marc débute son évangile est en réalité un ajout qui n’apparaît pas dans les manuscrits les plus anciens comme le Codex sinaiticus si bien qu’elle fut supprimée de plusieurs traductions anglaises. De même, l’expression « fils de Dieu » dans Actes des apôtres 8, 37 - ainsi que dans l’ensemble du chapitre - est absente du Codex sinaiticus ou du Codex vaticanus.


Parfois, dans un même récit, la formule « fils de Dieu » apparaît dans un évangile mais est absente des autres. Ainsi, on la trouve en Matthieu 14, 33, mais pas en Marc 6, 51 et Jean 6, 21 qui relatent pourtant le même épisode de la vie de Jésus.


Les exemples sont bien plus nombreux. Tous témoignent du travail de transformation opéré par les scribes et les traducteurs sur les textes du Nouveau Testament dans le but de démontrer la nature divine de Jésus, ce que le Coran a annoncé il y a plus de quatorze siècles : (Il en est parmi eux qui transforment certains versets en vous faisant croire qu’ils appartiennent aux Ecritures)1.


1 Sourate 3, verset 78.


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3- Le récit de Marie et de Jésus dans le Coran


Le Coran accorde une place toute particulière à Jésus et à sa mère Marie, en particulier à leur naissance. Leur histoire apparaît ainsi dans plusieurs passages coraniques. Le premier de ces passages, dans la troisième sourate du Coran, débute par cette prière de la mère de Marie : (La femme d’Imrân dit un jour : « Je Te voue, Seigneur, l’enfant que je porte en mon sein. Veuille l’accepter de ma part, Toi qui entends tout et sais tout ! ») La mère de Marie fait ici le voeu de consacrer au service du Temple de Jérusalem l’enfant qu’elle porte, sans savoir encore qu’il s’agit d’une fille. Or, cette charge était exclusivement réservée aux hommes. Ce qui explique la réaction de la mère de Marie à la naissance de sa fille. (L’ayant enfanté, elle dit : « Seigneur ! J’ai mis au monde une fille. » Or, Dieu savait parfaitement ce qu’elle avait enfanté, le garçon n’étant pas identique à la fille. « Je lui donne pour nom Marie, poursuivit-elle, et la place, elle et sa descendance, sous Ta protection contre Satan le maudit. ») Le Prophète Muhammad a dit : « Il n’est pas de nouveau-né qui ne soit touché par Satan à sa naissance à l’exception de Marie et de son fils. »1 (Son Seigneur agréa Marie, lui assura une croissance heureuse et la confia à la garde de Zacharie. Chaque fois que Zacharie se présentait à elle dans le Temple, il trouvait à ses côtés de la nourriture. « Marie, s’étonnait-il, d’où cela te vient-il ? » « Cela me vient de Dieu qui dispense sans compter Ses bienfaits à qui Il veut », répondait-elle. Zacharie invoqua alors son Seigneur : « Accorde-moi Seigneur, par un effet de Ta grâce, une descendance vertueuse. Tu exauces toujours les prières ! ») La sainteté de Marie semble avoir éveillé en Zacharie, dont l’épouse était stérile, le désir d’avoir un


1 Rapporté par Al-Bukhâri.


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enfant. (Les anges s’adressèrent à Zacharie qui, debout, priait dans le Sanctuaire : « Dieu t’annonce la naissance de Jean qui croira en la mission d’un prophète né d’un verbe de Dieu, se distinguera par la noblesse et la pureté de son caractère et sera du nombre des prophètes pleins de vertu. ») Après la naissance de Marie, c’est ici la naissance de Jean le Baptiste qui est annoncée à son père Zacharie. Jean le Baptiste qui, devenu adulte, prophétisera l’avènement imminent de Jésus auquel il sera le premier à croire. (Zacharie dit : « Comment, Seigneur, pourrais-je avoir un fils alors que j’ai atteint la vieillesse et que mon épouse est stérile ? » Il répondit : « Il en sera ainsi, car la volonté de Dieu s’accomplit toujours. » « Seigneur, dit Zacharie, donne-moi un signe ! » Il répondit : « Ton signe est que, trois jours durant, tu ne pourras t’adresser que par gestes aux gens. Prie donc ton Seigneur avec ferveur et célèbre Sa gloire matin et soir ! » Les anges dirent : « Marie ! En vérité, Dieu t’a élue, purifiée et préférée à toutes les femmes de l’univers. Marie ! Dévoue-toi humblement à ton Seigneur, prosterne-toi et sois du nombre de ceux qui s’inclinent en prière. ») Le Prophète Muhammad a dit : « La meilleure de toutes les femmes fut Marie. »1 (Ce sont là des événements inconnus de toi que Nous te révélons. Tu n’étais pas parmi eux lorsqu’ils jetaient leurs calames afin de tirer au sort celui d’entre eux qui devait se charger de Marie. Tu n’étais pas parmi eux lorsqu’ils se disputaient sa garde. Les anges dirent : « Marie ! Dieu t’annonce la naissance d’un fils né d’un verbe émanant de Lui, qui aura pour nom le Messie, Jésus fils de Marie, honoré ici-bas et dans l’au-delà, et du nombre des plus proches élus du Seigneur). Après l’annonce de la naissance de Marie et de Jean, c’est la venue au monde de Jésus que les anges annoncent ici à Marie. (Il parlera aux hommes dès le berceau, prêchera la bonne parole à l’âge mûr et sera


1 Rapporté par Al-Bukhâri et Muslim.


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du nombre des croyants pleins de vertu. » Marie s’étonna : « Comment, Seigneur, pourrais-je avoir un enfant alors qu’aucun homme ne m’a touchée ? » Il répondit : « Il en sera ainsi. Dieu crée ce qu’Il veut. Il Lui suffit, lorsqu’Il décrète une chose, de dire “Sois”, et celle-ci s’accomplit. »)1 Ce passage confirme l’explication musulmane de l’expression « verbe de Dieu » appliquée à Jésus dans le Coran. Rappelons que pour les musulmans, Jésus est un « verbe de Dieu » dans la mesure où il est né sans père, de l’ordre divin « Sois » qui eut pour conséquence sa naissance miraculeuse. Le récit de la naissance de Jésus se trouve au début de la sourate Marie : (Mentionne dans le Livre l’histoire de Marie qui s’éloigna un jour de sa famille en direction de l’est où elle se déroba aux regards. Nous lui envoyâmes alors Notre Esprit2 qui se présenta à elle sous la forme d’un homme accompli. Marie dit : « J’implore contre toi la protection du Tout Miséricordieux. Ne m’approche donc pas, si tu crains Dieu. » Il répondit : « Je suis seulement envoyé par ton Seigneur pour te faire don d’un garçon vertueux. » Elle s’étonna : « Comment aurais-je un garçon, moi que nul homme n’a touchée et qui ne suis pas une débauchée ? » Il répondit : « Il en sera ainsi. Ton Seigneur a dit : “Cela M’est facile”. Nous ferons de lui un signe et une bénédiction pour les hommes. L’arrêt en est déjà prononcé. » Enceinte de l’enfant, elle alla se retirer loin des siens. Les douleurs de l’accouchement l’obligèrent à s’adosser au tronc d’un palmier. Elle s’exclama : « Que je fusse morte avant ce jour et totalement oubliée ! »)3 Les exégètes expliquent que Gabriel souffla dans le col de l’habit qu’elle portait. Le souffle descendit alors jusqu’à atteindre sa matrice. Par la volonté de Dieu, elle tomba enceinte de Jésus.


1 Sourate 3, versets 35-47.


2 L’ange Gabriel.


3 Sourate 19, versets 16-23.


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Conclusion


Entre les juifs qui ont renié la mission de celui qui leur fut pourtant envoyé et les chrétiens qui l’ont élevé au rang de divinité, les musulmans ont encore une fois emprunté la voie du juste milieu en vouant à Jésus un profond respect - puisqu’il est selon eux l’un des plus grands prophètes envoyés à l’humanité - mais sans le vénérer comme une divinité. Jésus est mentionné dans quinze sourates différentes qui le présentent comme un « envoyé de Dieu », le « Messie » et une « bénédiction pour l’humanité ».


La même remarque pourrait être formulée au sujet de Marie, présentée par certains juifs comme une femme de mauvaise vie, élevée au rang de « mère de Dieu » et vénérée par les chrétiens. Les musulmans, quant à eux, vouent un profond respect à celle dont le nom apparaît trente-trois fois dans le Coran, bien plus que dans le Nouveau-Testament qui - en dehors du récit de l’Annonciation - ne parle jamais de ses vertus et de sa sainteté. En revanche, le Coran fait dire aux anges : (Marie ! En vérité, Dieu t’a élue, purifiée et préférée à toutes les femmes de l’univers)1.


1 Sourate 3, verset 42.


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Chapitre 5


Jésus dans la tradition islamique


1- Le Prophète loue Jésus et Marie


Jésus occupe une place si importante en islam que la foi en sa mission est l’une des conditions du salut du musulman. Le Prophète de l’islam a dit : « Quiconque témoigne qu’il n’y a de divinité en droit d’être adorée que Dieu, seul et sans associés, que Muhammad est son serviteur et Messager, que Jésus est le serviteur de Dieu, Son Messager, Son verbe qu’Il a insufflé en Marie et un esprit émanant de Lui, et que le Paradis et l’Enfer existent, entrera par la grâce de Dieu au Paradis, quelles que soient ses oeuvres. »1


Le Prophète Muhammad a décrit sa proximité avec Jésus qu’il décrit mêmes comme son frère : « Les prophètes sont des frères consanguins, leurs mères sont différentes, mais leur religion unique. Quant à moi, je suis le plus proche de Jésus, fils de Marie, car il n’y a pas eu de prophète entre lui et moi. »2


1 Rapporté par Al-Bukhâri et Muslim.


2 Rapporté par Al-Bukhâri et Muslim.


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De même, Dieu décrit dans le Coran la proximité des chrétiens avec les musulmans : (Tu constateras que les hommes les plus enclins à montrer de la sympathie aux musulmans sont ceux qui se disent chrétiens)1.


S’agissant de Marie, le prophète Muhammad a dit : « La meilleure de toutes les femmes fut Marie. »2


Et il a dit de la mère de Jésus : « Nombreux sont les hommes qui ont atteint la perfection. Mais, seules Assia, la femme de Pharaon, et Marie, la fille de ‘Imrân, sont parvenues à ce niveau. »3


Paroles très élogieuse sur Marie qui est ici associée à la femme de Pharaon - à laquelle la tradition musulmane donne le nom de Assia - de même que ces deux femmes vertueuses sont associées dans ce passage du Coran : (Dieu propose aux croyants l’exemple de la femme de Pharaon qui implora : « Veuille, Seigneur, me faire construire auprès de toi une demeure au Paradis, me délivrer de Pharaon et de ses agissements et me sauver de ce peuple impie ! » Ainsi que l’exemple de Marie, fille d’Imrân, qui sut préserver sa chasteté et que nous avons récompensée en insufflant en elle de notre Esprit. Elle crut en la parole de son Seigneur et en ses Ecritures, et fut de ceux qui se soumettent humblement à ses commandements)4.


1 Sourate 5, verset 82.


2 Rapporté par Al-Bukhâri et Muslim.


3 Rapporté par Al-Bukhâri et Muslim.


4 Sourate 66, versets 11-12.


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Et au sujet de Jésus et de sa mère, le Prophète a dit : « Il n’est pas de nouveau-né qui ne soit touché par Satan à sa naissance à l’exception de Marie et de son fils. »1


Jésus et Marie occupent donc une place toute particulière parmi les hommes puisqu’ils furent, dès leur naissance, préservés du mal de Satan.


En outre, le Très Haut dit dans le Coran : (En vérité, Dieu a élu, parmi tous les hommes, Adam, Noé, la famille d’Abraham et la famille d’Imrân)2. Imrân est, selon la tradition musulmane, le père de Marie.


1 Rapporté par Al-Bukhâri.


2 Sourate 3, verset 33.


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2- L’ascension de Jésus


Le Coran affirme clairement que Jésus n’a été ni crucifié, ni tué par ses ennemis, mais sauvé par Dieu qui l’a élevé vers lui. La tradition islamique précise, quant à elle, la manière dont il fut sauvé et élevé au Ciel. Ibn Kathîr - le plus fameux exégète musulman - décrit cet épisode dans son exégèse : « Ils se liguèrent contre lui et le dénoncèrent au roi de cette époque, qui était un mécréant, en prétendant qu’il y avait un homme qui égarait ses sujets, les incitait à désobéir au roi, et les poussait à la rébellion. Mentant à son sujet, ils affirmèrent qu’il séparait le père du fils, et qu’il était un enfant illégitime. Ils finirent donc par provoquer le courroux du roi qui ordonna à ses hommes de s’emparer de lui, de le torturer, et de le crucifier. Mais quand les hommes du roi eurent encerclé sa maison, persuadés qu’il était à leur merci, Dieu le sauva en l’élevant au ciel à travers la lucarne de cette maison. Puis Dieu donna son apparence à un homme qui se trouvait dans la maison, si bien que, lorsque les hommes pénétrèrent dans la demeure, ils crurent, dans l’obscurité, qu’ils se saisissaient de Jésus. Ils humilièrent l’homme en question, plaçant sur sa tête une couronne d’épines, et le crucifièrent. »


Ibn Kathîr mentionne ce récit en commentaire de ce verset : (Les fils d’Israël ont tramé un complot contre Jésus que Dieu a déjoué. Nul, mieux que Dieu, n’est en mesure de déjouer les complots)1.


Au verset suivant, Dieu ajoute qu’il a élevé Jésus au ciel : (Dieu dit : « Jésus ! Je vais te reprendre à la terre, t’élever auprès de moi, te délivrer de ceux qui t’ont renié et placer, jusqu’au Jour de la résurrection, les mécréants sous la domination de ceux qui te sont


1 Sourate 3, verset 54.


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fidèles. C’est vers moi ensuite que se fera votre retour, je trancherai alors vos différends. »)1


Un passage de la sourate qui suit est une réponse évidente à la croyance chrétienne selon laquelle Jésus fut crucifié : (Nous avons maudits les juifs parce qu’ils ont rejeté la foi, inventé contre Marie une infâme calomnie et prétendu avoir tué le Messie, Jésus fils de Marie, le Messager de Dieu. Or, ils ne l’ont ni tué, ni crucifié, mais furent seulement le jouet d’une illusion. Tous ceux qui se sont opposés à ce sujet sont en réalité dans l’incertitude la plus totale, formulant de simples suppositions. Ils ne l’ont certainement pas tué, mais Dieu l’a élevé vers Lui. Dieu est Tout-Puissant et infiniment Sage)2.


Autant dire que les musulmans ne sauraient adhérer au dogme chrétien de la Rédemption selon lequel Jésus a expié les péchés des hommes par sa mort sur la croix. Pour les musulmans, Jésus n’est donc pas le rédempteur, mais un intercesseur, puisqu’il intercédera le Jour dernier - comme les autres prophètes - pour les croyants dont il prendra la défense devant Dieu. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle lors de son repas d’adieu avec ses disciples, Jésus a annoncé l’avènement du Prophète de l’islam par ces mots : « Je prierai le Père, et il vous donnera un autre Paraclet », c’est-à-dire, un autre intercesseur. De même, Jean décrit Jésus comme un intercesseur dans sa première épître où il affirme : « Et si quelqu’un a péché, nous avons un Paraclet auprès du Père, Jésus Christ le juste. »3


1 Sourate 3, verset 55.


2 Sourate 4, versets 156-158.


3 1 Jean 2, 1.


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3- La Parousie


Si les chrétiens et les musulmans divergent sur le sort de Jésus avant son ascension, les premiers affirmant qu’il a été crucifié, les seconds qu’il a été sauvé, ils s’accordent sur deux points : Jésus a été élevé au Ciel et il reviendra à la fin des temps, dogme de la Parousie bien connu des chrétiens. Son retour constituera même, selon le Coran et le Prophète de l’islam, l’un des signes précurseurs de l’Heure.


Le Prophète Muhammad a dit : « L’Heure ne sonnera pas avant que vous ne voyiez dix signes. » Il mentionna alors la fumée, le faux Messie, la bête, le lever du soleil à l’ouest, la descente de Jésus fils de Marie, l’apparition de Gog et Magog, trois engloutissements : l’un à l’est, l’autre à l’ouest et le troisième dans la péninsule arabique, et pour finir un feu qui se déclarera au Yémen et poussera les gens vers le lieu de leur rassemblement1.


Jésus redescendra donc parmi les hommes à la fin des temps et gouvernera la terre avec justice et équité. Le prophète Muhammad a dit : « L’Heure ne sonnera pas avant que Jésus ne descende parmi vous en tant que gouverneur équitable. »2


Une autre parole du Prophète précise certaines des actions de Jésus lors de sa seconde venue sur terre : « Par Celui qui tient mon âme dans Sa Main ! Peu s’en faut que le fils de Marie ne descendre au milieu de vous en tant que gouverneur équitable. Il brisera la croix, tuera le porc, et abolira la capitation. Il y aura une telle profusion de biens qu’on ne trouvera personne


1 Rapporté par Muslim.


2 Rapporté par Al-Bukhâri et Muslim.


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pour l’accepter, et la prosternation sera meilleure pour les hommes que ce monde et ce qu’il contient. »1


En outre, l’une des missions de Jésus sera de tuer l’Antéchrist, comme l’indiquent ces paroles du Prophète : « Lorsque le faux Messie apparaîtra, Jésus fils de Marie descendra et le tuera. Il demeurera ensuite quarante ans sur terre en tant que chef juste et équitable. »2


1 Rapporté par Al-Bukhâri et Muslim.


2 Rapporté par Ahmad.


Le Jésus musulman Conclusion


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Conclusion


Nous avons montré dans cet ouvrage que Jésus pouvait être considéré comme musulman en raison de sa totale soumission à la volonté de son Seigneur et de son adhésion sans faille au pur monothéisme.


Le Jésus musulman fut en effet un homme, mais pas n’importe lequel puisqu’il fut l’un des plus grands prophètes envoyés par le Créateur à l’humanité.


Le Jésus musulman n’a jamais prétendu être le Fils de Dieu, la troisième personne de la Trinité - le terme Trinité étant totalement absent de la Bible - ou encore l’incarnation de Dieu, notion totalement étrangère au juif qu’il était.


Le Jésus musulman est donc en parfaite adéquation avec celui décrit aujourd’hui par la plupart des spécialistes de la Bible qui affirment que le Jésus historique fut un prophète juif venu réformer le judaïsme.


Charles Guignebert, titulaire de la chaire du christianisme à la Sorbonne de 1919 à 1937, écrit à ce sujet : « Jésus n’entendait pas, on ne saurait trop le répéter, fonder une religion, mais seulement apporter au judaïsme, que le formalisme pharisien desséchait, un esprit nouveau et vivifiant […] Pourquoi donc une doctrine si simple et si claire a-t-elle abouti à la complication des dogmes et à l’obscurité des mystères, qui sont aujourd’hui la substance même de l’orthodoxie ? Pourquoi l’Eglise s’est-elle constituée, absolue dans son autorité, impitoyable à la discussion, à l’individualisme que Jésus semblait avoir voulu développer avant tout ? C’est parce que le Royaume attendu n’est pas venu, et que, pour ne pas sombrer dans le désespoir à la pensée que le Maître s’était trompé, il a fallu


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interpréter ses paroles, les rendre plus profondes, les développer jusqu’au-delà même de l’intelligible. »1


1 Manuel d’histoire ancienne du christianisme, Guignebert, Paris, 1906, p. 239-240.



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