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nom”. » Ce baume originaire de la Mecque et visiblement très réputé était probablement acheminé vers la Palestine par la route de la soie qui reliait le sud de l’Arabie à la Méditerranée. Le dictionnaire Vigouroux explique qu’il ne pousse que dans les régions très chaudes : « Le baumier appartient à la région tropicale, et peut à peine être compté parmi les productions de la flore d'Orient proprement dite. En effet, d'après E. Boissier et G. Schweinfurth, il croit dans la Nubie méridionale, en Arabie, autour de la Mecque, descend vers la mer Rouge jusque sur la côte orientale d'Afrique, à Zanzibar, et s'étend, dans l’est, jusque dans l’Inde. Du reste, cet arbre est très rare, dit N. J. Guibourt, Histoire naturelle des drogues simples, t. III, p. 506, difficile à cultiver, et il a successivement disparu des diverses contrées qui l’ont anciennement possédé. »77 Ce val, situé à la Mecque, aurait donc été appelé ainsi en raison des baumiers qui y poussent et qui ont fait sa renommée.


Ajoutons à cela que de nombreux commentateurs présentent cette vallée comme un lieu emprunté par les pèlerins se rendant à Jérusalem, ce qui peut correspondre à la Mecque, seul lieu possédant aujourd’hui un sanctuaire auquel se rendent en pèlerinage des millions de musulmans chaque année. Toujours à l’article Baca, le dictionnaire Vigouroux écrit à ce sujet : « D’après plusieurs auteurs récents et autorisés, l’idée développée dans cette strophe est celle d’un pieux pèlerinage dont le sanctuaire de Sion est le terme. »


Autre élément qui plaide en faveur de la Mecque plutôt que Jérusalem : le texte sacré, note le dictionnaire Vigouroux, « nous représente la vallée de Baka comme une contrée aride », à travers notamment les paroles : « ils la transforment en un lieu plein de sources », ce qui correspond parfaitement à la Mecque, non à Jérusalem. Ce verset coranique dans lequel Abraham invoque son Seigneur en faveur d’Ismaël - qu’il a installé à la Mecque - et de sa descendance, prend ici tout son sens :


77 Dictionnaire de la Bible Vigouroux, tome 1, deuxième partie, p. 1520.


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Seigneur ! J’ai établi une partie de mes descendants dans une vallée inculte auprès de Ta maison sacrée. » (Coran 14, 37)


Remarquons qu’Abraham, en accord total avec le psaume, emploie les termes « vallée » et « maison ». « Heureux ceux qui habitent ta maison » chante l’auteur du psaume.


Reste le problème de la mention, dans ce passage biblique, de Sion qui désigne clairement ici « cette maison de Dieu » et qui est généralement associé à Jérusalem. Examinons le sens étymologique de ce terme. Le Dictionnaire de la Bible Vigouroux y voit deux racines possibles : la première, qui existe également en arabe, renvoie à l’idée de protection, la seconde, à la notion d’aridité78, qui est celle retenue par le dictionnaire Strong pour qui l’hébreu « Tsiyown » désigne étymologiquement un « lieu desséché ».


Plus intéressant encore est le commentaire du dictionnaire Vigouroux sur l’emploi qui est fait du terme « sion » dans l’Ancien Testament : « Il est important de remarquer qu’il est employé tantôt dans un sens topographique, tantôt dans un sens poétique, religieux ou politique. C’est sous le premier rapport surtout qu’on le trouve dans les livres historiques […] II est, au contraire, fréquemment cité dans les livres poétiques et prophétiques, avec le second sens, à part certaines exceptions. » Or, les Psaumes appartiennent à la catégorie des livres poétiques où le terme « sion » ne désigne donc généralement pas Jérusalem, mais a un sens religieux. Quel peut-être ce sens ? André-Marie Gérard répond à cette question dans son Dictionnaire de la Bible (p. 1289) où il écrit : « C’est encore, et surtout dans le livre des PSAUMES, la « montagne sainte », inébranlable, « montagne de Yahvé », qu’il a choisie, qu’il aime, “où il a fixé son séjour” et où “il demeure”. » Sion, dans les Psaumes, désigne donc avant tout une « montagne sainte », la montagne de Dieu et sa demeure, autant de qualificatifs qui s’appliquent parfaitement à la Mecque.


78 Dictionnaire de la Bible Vigouroux (tome 5, deuxième partie, p. 1787).


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Conclusion


Nous avons, dans ce chapitre, souligné la place centrale de l’Arabie dans l’histoire du Salut, place que les commentateurs juifs, et surtout chrétiens, ont volontairement minimisée, notamment en situant le mont Sinaï et le désert de Paran dans ce qui fut appelé à tort la péninsule du Sinaï, en Egypte, alors que l’un et l’autre se trouvent au nord-ouest de la péninsule arabique, mais aussi en refusant aveuglément de voir dans la Mecque la nouvelle Jérusalem annoncée par les prophètes et le Christ.


Pourtant, la Mecque est aujourd’hui le seul sanctuaire vers lequel des croyants, par millions, se rendent chaque année en pèlerinage. La ville sainte de la Mecque est aussi, pour les musulmans, le centre du monde vers lequel se tournent quotidiennement un milliard et demi de fidèles au cours de leurs prières adressées au Seigneur de l'univers. La Mecque ne mérite-t-elle pas, pour toutes ces raisons, le titre de « nouvelle Jérusalem » ?


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Chapitre 3


Le Prophète promis


J’inflige Mon châtiment à qui Je veux, tandis que Ma miséricorde s’étend à tous les hommes. Je la destine à ceux qui se préservent du péché, se purifient et croient en Mes signes. A ceux qui suivront l’Envoyé, le prophète illettré79 dont ils trouvent mention dans la Thora et l’Evangile (Coran 7, 156-157)


Le Prophète annoncé par Moïse


Je leur susciterai du milieu de leurs frères un prophète comme toi, je mettrai mes paroles dans sa bouche, et il leur dira tout ce que je lui commanderai (Deutéronome 18, 18)


S’il est un passage de l’Ancien Testament qui fit de longue date l’objet de controverses entre chrétiens et musulmans, c’est bien cette annonce de Deutéronome 18, 1880, que les apologistes musulmans appliquent à Mouhammad pour les raisons suivantes :


- Premièrement : les paroles « du milieu de leurs frères » désignent les Arabes, frères des Juifs, puisque les premiers descendent d’Ismaël, tandis que les seconds ont pour ancêtre Isaac, frère d’Ismaël et second fils d’Abraham. Cette formulation typiquement sémite peut surprendre mais elle revient encore dans l’Ancien Testament au sujet des fils d’Esaü dits « frères » des fils d’Israël,


79 Certains traduisent : le « prophète des nations » ou « des Gentils », ce qui correspond parfaitement à la mission de Mouhammad, envoyé à toutes les nations de la terre, comme nous le verrons notamment dans l’oracle d’Esaïe cité dans ce chapitre.


80 De même que l’annonce par Jésus, dans le Nouveau Testament, de la venue du Paraclet, et ce, pour deux raisons principales : la première est que ces deux prophéties touchent directement à la personne du prophète Mouhammad (pas simplement à sa nation ou à sa patrie), la seconde est que ces deux prophéties émanent d’une part du grand prophète de l’Ancien Testament, Moïse, et d’autre part de Jésus, élevé par les chrétiens au rang de divinité.


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puisque Esaü est le frère de Jacob, tous deux fils d’Isaac81. Or, Dieu n’a suscité, parmi la descendance d’Ismaël, d’autre prophète que Mouhammad.


- Deuxièmement : l’expression « comme toi » correspond parfaitement à Mouhammad qui, comme Moïse, fut à la fois prophète législateur et chef de son peuple. Elle ne s’applique pas à Jésus, comme le pensent les chrétiens, qui n’a pas apporté de nouvelle loi et ne fut pas le roi attendu d’Israël, ni même à Josué ou Samuel, comme l’affirment certains juifs, qui ne peuvent être comparés à Moïse, prophète dont la Bible dit : « Il n’a plus paru en Israël de prophète semblable à Moïse. »82


- Troisièmement : les paroles « Je mettrai mes paroles dans sa bouche, et il leur dira tout ce que je lui commanderai » conviennent parfaitement à Mouhammad qui, illettré, se contentait de répéter les paroles que Gabriel lui transmettait de la part de Dieu.


Les chrétiens réfutent tous ces arguments sous prétexte que le contexte exclut d’emblée tout prophète qui ne soit pas hébreu et que l’expression « frères des fils d’Israël » désigne généralement dans la Bible les juifs eux-mêmes.


La force des arguments avancés par les chrétiens est indéniable. Il est pourtant un passage des Evangiles qui aurait dû intriguer les hommes d’Eglise mais qui ne semble pas avoir éveillé leur attention, à moins qu’ils ne l’aient sciemment ignoré compte tenu de ses implications. Il s’agit du passage qui relate l’interrogatoire subi par Jean Baptiste de la part des pharisiens.


Voici le témoignage de Jean, lorsque les Juifs envoyèrent de Jérusalem des sacrificateurs et des Lévites, pour lui demander : « Toi, qui es-tu ? » Il déclara, et ne le nia point, il déclara qu’il n’était pas le Christ. Et ils lui


81 « Donne cet ordre au peuple : Vous allez passer à la frontière de vos frères, les enfants d’Esaü. » (Deutéronome 2, 4).


82 Deutéronome 34, 10.


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demandèrent : « Quoi donc ? Es-tu Elie83 ? » Et il dit : « Je ne le suis point. » « Es-tu le prophète ? » Et il répondit : « Non. » (Jean 1, 19-21)


Un peu plus loin, les pharisiens lui font ce reproche :


Pourquoi donc baptises-tu, si tu n’es pas le Christ, ni Elie, ni le prophète ? » (Jean 1, 25)


Faut-il faire un lien entre ces trois personnes attendues par les juifs contemporains de Jésus et les trois figures - un prophète et deux messies, l’un de la descendance d’Aaron (messie sacerdotal), l’autre issu de David (messie royal) - mentionnées dans le célèbre document appelé La règle de la communauté (1QS IX 11) découvert dans les grottes de Qumrân, au bord de la mer Morte ? Notons que Jean-Baptiste descend d’Aaron à la fois par son père Zacharie et sa mère Elisabeth, et que Jésus est dit « fils de David »84.


De ces deux passages, l’on déduit d’une part que les Ecritures annoncent la venue d’un prophète, un prophète connu et d’un rang particulier, comme l’indique l’utilisation de l’article défini, et d’autre part que ce prophète n’est pas le Christ. Un autre passage du Nouveau Testament confirme que les juifs attendaient encore à l’époque de Jésus un prophète en plus du Messie :


Des gens de la foule, ayant entendu ces paroles, disaient : « Celui-ci (Jésus) est vraiment le prophète. » D’autres disaient : « C’est le Christ. » (Jean 7, 40-41)


Or, de nombreux commentateurs chrétiens établissent un lien entre le prophète annoncé par Moïse en Deutéronome 18, 18 et celui attendu par les juifs à l’époque de Jésus. Voici par exemple le commentaire d’Origène au sujet de l’interrogatoire subi par Jean Baptiste de la part des pharisiens (Jean 1, 19-21) : « Comme il avait paru plusieurs prophètes en Israël, l'objet de leur attente était surtout un prophète que Moïse avait annoncé en ces termes : Dieu


83 Voir Matthieu 17, 12-13 qui semble indiquer qu’Elie est Jean-Baptiste.


84 Matthieu 1, 1. Une chose est certaine, l’existence de trois personnes attendues par les juifs à l’époque de Jésus est formellement établie par les textes, contrairement aux trois personnes de la Trinité, sans fondement scripturaire, comme nous le démontrerons dans la troisième partie de cet ouvrage.


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vous suscitera un prophète du milieu de vos frères, vous lui obéirez comme à moi (Dt. 18,18). C'est ce qui explique la troisième question qu'ils font à Jean-Baptiste, non pas s'il était simplement prophète, mais s'il était le prophète avec l'article. »85


Les historiens musulmans, pour leur part, relatent que, informés par leurs Ecritures de l’avènement d’un prophète en Arabie, les juifs s’étaient installés d’abord à Tema avant de se déplacer à Médine où ils attendaient la venue de ce prophète qu’ils croyaient de la postérité d’Isaac, comme eux, mais qui se révéla de la descendance d’Ismaël. Dieu, dans le Coran, dit au sujet de Mouhammad :


Ceux auxquels Nous avons confié les Ecritures le connaissent comme ils connaissent leurs propres enfants. (Coran 2, 146)


Même si l’on ne peut assimiler avec certitude Mouhammad au prophète annoncé par Moïse, nul doute que les juifs attendaient encore un prophète au premier siècle de l’ère chrétienne. Or, jusqu’à ce jour, nul n’est venu réaliser cette prophétie parmi les juifs. Le seul homme qui s’est déclaré prophète et qui a fondé une religion en se réclamant du Dieu d’Abraham est le prophète de l’islam.


Le Prophète annoncé par Jacob


Le sceptre ne s’éloignera point de Juda, ni le bâton souverain d’entre ses pieds, jusqu’à ce que vienne Chiloh, et que les peuples lui obéissent (Genèse 49, 10)


C’est sur son lit de mort que Jacob fait cette prédiction devant ses douze fils auxquels il annonce ce que sera l’avenir de leur tribus respectives. Les traducteurs de l’Ancien Testament, devant les difficultés posées par ce mot, qui n’apparaît qu’une seule fois dans la Bible, restituent généralement le terme Chiloh tel quel, sans le traduire. La Bible syriaque, dite Peshitta, le rend toutefois ainsi : « Celui auquel ils sont destinés », c’est-à-dire, le sceptre et le bâton souverain, soit selon les commentateurs chrétiens, les pouvoirs à la


85 La chaîne d’or (Catena aurea), saint Thomas d’Aquin, traduction de l’Abbé J-M Peronne, Louis Vivès éditeur, 1868.


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fois temporel et spirituel. Autrement dit, comme les rois-prophètes d’Israël, à l’image de David et Salomon86, ce Chiloh sera à la fois un souverain et un prophète. Mais, contrairement à ces derniers, il assoira sa domination sur tous les peuples, pas seulement sur la nation juive, comme l’indique l’expression « et que les peuples lui obéissent ».


Selon les chrétiens, ce Chiloh est Jésus mais, reconnaît André-Marie Gérard dans son Dictionnaire de la Bible (p. 210) : « Aucun autre texte ne désigne le Messie sous le nom de Chiloh ». Il poursuit : « On a donc songé à une erreur de lecture, que les traducteurs corrigent de manière très diverses : “…jusqu’à ce que vienne celui à qui il [le sceptre] appartient”, ou “jusqu’à ce que le tribut lui soit apporté”87, ou encore avec saint Jérôme : “jusqu’à ce que vienne celui qui doit être envoyé”. » Autant de descriptions qui conviennent à Mouhammad bien plus qu’à Jésus, même si rien n’établit avec certitude que ce Chiloh est bien le prophète de l’islam. En effet, c’est Mouhammad qui a fondé un empire, qui a imposé un tribut aux non musulmans88 et qui est désigné dans le Coran à maintes reprises comme « l’envoyé de Dieu », titre qui n’est jamais appliqué à Jésus par les quatre évangélistes. En revanche, Jésus n’a prétendu ni au pouvoir temporel, ni au pouvoir spirituel, expliquant que son royaume n’était pas de ce monde89.


D’ailleurs, pour quelle raison, si ce Chiloh est bien le Messie, cette prophétie n’est-elle pas appliquée à Jésus dans le Nouveau Testament90 comme le sont celles d’Isaïe ou de David par exemple, alors qu’elle émane du patriarche Jacob, d’un rang plus élevé que le prophète Esaïe ou même que le roi David ? Cela signifie que les


86 Issus justement de Juda.


87 La Bible de Jérusalem traduit ainsi : « Le sceptre ne s’éloignera pas de Juda, ni le bâton de chef d’entre ses pieds, jusqu’à ce que le tribut lui soit apporté et que les peuples lui obéissent. »


88 Tandis que Jésus payait le tribut aux Romains (Matthieu 17, 24-27).


89 Jean 18, 36.


90 Pas même par Paul qui n’aurait pas manqué d’appliquer une prophétie si importante à celui qu’il a élevé au rang de Dieu.


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premiers chrétiens ne faisaient aucun lien entre le Messie et ce Chiloh.


Selon le fameux dictionnaire Strong de la Bible, le terme « Chiloh » aurait pour origine l’hébreu « Chalah » qui renferme les notions de « tranquillité » et de « paix ». De même, Jean-Daniel Macchi, dans Israël et ses tribus selon Genèse 49, conclut une longue étude philologique sur l’hébreu « Chiloh » par cette affirmation : « L’interprétation de שִׁילֹה (Chiloh) dans le sens d’un concept, “la tranquillité” ou “la paix”, nous paraît donc constituer la proposition la plus vraisemblable. L’expression de 10b signifierait alors “jusqu’à ce que vienne la paix” et ferait référence à une ère de tranquillité future ou contemporaine. »91 Chiloh ne désignerait donc pas un homme, mais une ère nouvelle. Il est difficile de ne pas rapprocher cette interprétation, partagée par de nombreux spécialistes contemporains, avec la religion de l’islam, mot formé sur la racine sémitique s, l, m, qui signifie « la paix » (il a donné notamment le « Shalom » hébreu), paix de l’âme obtenue par la soumission (aslama) à la volonté de Dieu.


Le Prophète annoncé par Esaïe


Lisons à présent cet autre oracle d’Esaïe92 que certains chrétiens appliquent à tort à Jésus :


Voici mon serviteur que je soutiendrai, mon élu en qui mon âme prend plaisir. J’ai mis mon esprit sur lui, il annoncera la justice aux nations. Il ne criera point, il n’élèvera point la voix, et ne la fera point entendre dans les rues. Il ne brisera point le roseau cassé, et il n’éteindra point la mèche qui brûle encore. Il annoncera la justice selon la vérité. Il ne se découragera point et ne se relâchera point, jusqu’à ce qu’il ait établi la justice sur la terre, et que les îles93 espèrent en sa loi. Ainsi parle Dieu, l’Eternel, qui a


91 Israël et ses tribus selon Genèse 49, Jean-Daniel Macchi, p. 109, Fribourg, Suisse, 1999.


92 Incontournable donc puisque nul mieux que lui n’a annoncé les prophètes, Jean-Baptiste (voir Matthieu 3, 3) tout d’abord, Jésus ensuite (voir Matthieu 1, 22) et Mouhammad enfin dans les trois prophéties que nous rapportons de lui.


93 Le terme « îles » désigne généralement « les nations » dans la Bible.


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créé les cieux et qui les a déployés, qui a étendu la terre et ses productions, qui a donné la respiration à ceux qui la peuplent, et le souffle à ceux qui y marchent. Moi, l’Eternel, je t’ai appelé pour le salut, et je te prendrai par la main, je te garderai, et je t’établirai pour traiter alliance avec le peuple, pour être la lumière des nations, pour ouvrir les yeux des aveugles, pour faire sortir de prison le captif, et de leur cachot ceux qui habitent dans les ténèbres. Je suis l’Eternel, c’est là mon nom et je ne donnerai pas ma gloire à un autre, ni mon honneur aux idoles. Voici, les premières choses se sont accomplies, et je vous en annonce de nouvelles avant qu’elles arrivent, je vous les prédis. Chantez à l’Eternel un cantique nouveau, chantez ses louanges aux extrémités de la terre, vous qui voguez sur la mer et vous qui la peuplez, îles et habitants des îles ! Que le désert94 et ses villes élèvent la voix ! Que les villages occupés par Qedar élèvent la voix ! Que les habitants de Sela tressaillent d’allégresse ! (Esaïe 42, 1-11)


Qedar est encore présent dans ce passage qui, selon André-Marie Gérard, prédit la réhabilitation de ses descendants dans la Jérusalem future95. Selon les musulmans, ce passage est une annonce de l’avènement du plus illustre de ses descendants, le prophète de l’islam qui, contrairement à Jésus, correspond parfaitement à la description de ce « serviteur » qui « annoncera la justice aux nations ». En effet, Mouhammad est plus d’une fois désigné dans le Coran comme « le serviteur de Dieu »96, dans ce verset notamment :


C’est Lui qui révèle à Son serviteur des versets parfaitement clairs afin de vous tirer des ténèbres vers la lumière. (Coran 57, 9)


94 L’hébreu « midbar » rendu ici par « désert » est, selon le Dictionnaire historique et critique de la Bible d’Augustin Calmet, particulièrement donné au « désert de l’Arabie » (voir à l’article « désert »). D’ailleurs, le terme « arabe » signifie étymologiquement : « aride », les Arabes étant à l’origine des nomades se déplaçant dans des zones arides et désertiques. L’Arabe est donc, selon le dictionnaire Vigouroux, synonyme d’ « habitant du désert » dans les textes les plus anciens.


95 Dictionnaire de la Bible (p. 1161).


96 Alors que Jésus porte le titre de « fils de Dieu » dans le Nouveau Testament.


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De même, il aimait être appelé ainsi par ses compagnons auxquels il dit un jour :


Ne m’élevez pas aux nues comme l’ont fait les chrétiens avec le fils de Marie, car je ne suis qu’un serviteur. Appelez-moi : le serviteur de Dieu et Son Envoyé97.


Par ailleurs, contrairement à Jésus qui, de son propre aveu, n’a été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël98, Mouhammad fut envoyé à toutes les nations. Du prophète Mouhammad, Dieu dit dans le Coran :


Nous ne t’avons envoyé que par miséricorde pour l’humanité. (Coran 21, 107)


Ces paroles d’Esaïe « il ne se découragera point et ne se relâchera point, jusqu’à ce qu’il ait établi la justice sur la terre, et que les îles espèrent en sa loi (Thora) » décrivent précisément tous les combats engagés par le prophète de l’islam tout au long des vingt-trois années de sa prédication pour propager son message et sa loi, là où Jésus, dont la vie publique a duré tout au plus trois années, n’a apporté aucune loi, disant au contraire :


Ne croyez pas que je sois venu pour abolir la loi ou les prophètes. (Matthieu 5, 17)


Remarquons que le texte dit « sa loi » et non « la loi », ce qui signifie que ce « serviteur » apportera une nouvelle loi, la loi islamique après la loi mosaïque. Le mot hébreu traduit ici par « loi » est « Thora ». C'est pourquoi André Chouraqui traduit ce passage ainsi : « Les îles souhaitent sa tora. » Le verset renvoie donc à la fois à la notion de législation religieuse et à celle de révélation divine, ce qui correspond parfaitement au Coran, fondement de la loi islamique et révélation reçue par Mouhammad.


Nous avons vu dans le verset coranique cité il y a quelques lignes que le Prophète fut suscité aux hommes afin de les « tirer des ténèbres vers la lumière » ce qui correspond parfaitement aux


97 Autre preuve que le titre d’envoyé de Dieu s’applique bien mieux à Mouhammad qu’à Jésus.


98 Matthieu 15, 24. Voir également Matthieu 10, 5-6.


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paroles d’Esaïe : « pour être la lumière des nations, pour ouvrir les yeux des aveugles, pour faire sortir de prison le captif, et de leur cachot ceux qui habitent dans les ténèbres ».


Enfin et surtout, Esaïe invite les Arabes, symbolisés ici par Qedar, et les habitants de Sela, capitale de l’ancienne Arabie Pétrée99, à se réjouir et à glorifier le Seigneur qui leur a envoyé son serviteur et son élu, l’un des leurs, afin de les tirer des ténèbres vers la lumière. Une recherche rapide dans la Bible indique que la seule nation invitée comme ici à se réjouir, en dehors d’Israël évidemment, est la nation arabe, symbolisée par son plus illustre ancêtre, Qédar, qui, rappelons-le, apparaît souvent dans la généalogie du Prophète Mouhammad. Or, l’une des seules régions de l’ancien monde où le christianisme n’est jamais parvenu à s’implanter est précisément le Hedjaz, généralement rétif à toute influence extérieure, peuplé par les tribus arabes et plus particulièrement par les fils de Qédar. Décrivant l’indépendance naturelle des Arabes, Edouard gibbon écrit : « Les étrangers et les naturels du pays ont fait de l’indépendance perpétuelle des Arabes le sujet de leurs éloges. » Et plus loin : « Les Arabes, séparés du reste des hommes, se sont habitués à confondre les idées d’étrangers et d’ennemis. »100 Et si le christianisme parvient à s’installer à la périphérie de l’Arabie, au sud sous l’influence des Abyssins et au nord, sous l’influence de l’empire byzantin, il ne


99 Sela, que les traducteurs rendent improprement par les rochers ou la Roche, désigne en réalité Pétra, capitale de l’Arabie Pétrée qui tire son nom de cette cité (Voir les dictionnaires Vigouroux, à l’article « Pétra », et Bôst, à l’article « Sélah »). Une erreur fréquente des traducteurs de la Bible consiste comme ici à traduire un nom propre, les noms propres sémitiques ayant souvent une signification dans ces langues. Car si Sela a probablement reçu ce nom en raison des rochers qui l’entourent, il n’en reste pas moins que c’est la ville à laquelle le texte hébreu fait ici allusion. Certains commentateurs musulmans reprochent de même aux traducteurs de la Bible d’avoir effacé, volontairement ou non, le nom de Mouhammad en traduisant le sens de son nom : « celui qui est digne d’éloge ». 100 Histoire de la décadence et de la chute de l’empire romain, Edouard gibbon. Traduit de l’anglais par M. F. Guizot, tome 10, chapitre L, Paris, 1819.


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réussira jamais à pénétrer le coeur de la péninsule arabique, le Hedjaz, patrie des fils de Qedar.


Le Prophète annoncé par Jésus


Jésus, fils de Marie, dit un jour : « Fils d’Israël ! Je suis envoyé à vous par Dieu afin de confirmer les enseignements de la Thora révélés avant moi et d’annoncer l’avènement d’un Envoyé qui viendra après moi dont le nom sera Ahmad101. » (Coran 61, 6)


L’Evangile de Jean est le seul à rapporter le discours prononcé par Jésus lors de son dernier repas avec les apôtres. Etrangement, ce récit est absent des synoptiques102, bien qu’il soit d’une importance capitale pour l’avenir de l’humanité. Le Christ y indique en effet quel sera le guide que les hommes devront suivre après sa disparition. L’Evangile grec nomme ce guide « Parakletos », qui donnera le Paraclet français. Voici une partie de ce discours :


Cependant je vous dis la vérité : il vous est avantageux que je m’en aille, car si je ne m’en vais pas, le Paraclet ne viendra pas vers vous. Mais, si je m’en vais, je vous l’enverrai. Et quand il sera venu, il convaincra le monde en ce qui concerne le péché, la justice, et le jugement. En ce qui concerne le péché, parce qu'ils ne croient pas en moi, la justice, parce que je vais au Père, et que vous ne me verrez plus, le jugement, parce que le prince de ce monde est jugé. J'ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant. Quand le Paraclet sera venu, l’Esprit de vérité, il vous conduira dans toute la vérité, car il ne parlera pas de lui-même, mais il dira tout ce qu’il aura entendu, et il vous annoncera les choses à venir. (Jean 16, 7-13)


101 Superlatif signifiant : « le plus digne d’être loué », formé sur la même racine que Mouhammad qui lui signifie : « immensément loué ». L’emploi de cet autre nom du Prophète, la seule fois dans le Coran, plutôt que celle de Mouhammad est une énigme. On pense que le sens du terme employé par Jésus correspondait plus à Ahmad qu’à Mouhammad, terme que l’on ne connaîtra jamais puisque le Nouveau Testament nous est parvenu en grec alors que Jésus parlait l’araméen !


102 Les évangiles de Matthieu, Marc et Luc, appelés ainsi en raison de leur ressemblance qui cache mal de grandes différences, voir des contradictions insurmontables, comme nous le verrons dans la troisième partie de cet ouvrage.


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Selon les chrétiens, ce Paraclet est « l’Esprit Saint » ou « l’Esprit de vérité », comme l’indique clairement le texte. Mais cette croyance est contredite par les autres termes de ce même passage de l’Evangile qui précisent que le Paraclet : « ne parlera pas de lui-même », « dira tout ce qu’il aura entendu », « annoncera les choses à venir » et « convaincra le monde en ce qui concerne le péché ». Or, « parler », « entendre », « annoncer » ou « convaincre » sont les attributs d’un être humain, non d’un esprit, d’un prophète, non de l’Esprit de vérité. D’autant que le verbe « entendre » du texte français traduit le grec « akouô », qui signifie percevoir des sons et qui a donné par exemple le mot français acoustique. Même constat pour le verbe « parler » de la traduction française correspondant au grec « laleô », qui a le sens général d’émettre des sons. Ce qui fait dire à Maurice Bucaille dans son ouvrage intitulé La bible, le Coran et la science : « Il apparaît donc que la communication aux hommes dont il est fait état ici ne consiste nullement en une inspiration qui serait à l’actif de l’Esprit Saint, mais elle a un caractère matériel évident en raison de la notion d’émission de son attachée au mot grec qui la définit. Les deux verbes grecs akouô et laleô définissent donc des actions concrètes qui ne peuvent concerner qu’un être doué d’un organe de l’audition et d’un organe de la parole. Les appliquer par conséquent à l’Esprit Saint n’est pas possible. »103


De même, en Jean 14, 30, Jésus décrit ce Paraclet comme « le prince du monde », expression qui ne peut convenir qu’à un homme.


Nous sommes donc ici face à un problème qu’Alexandre Westphal résume parfaitement dans son Dictionnaire encyclopédique de la Bible à l’article « Paraclet » : « Est-il personnel ? D’une part son action est consciente, aimante, nuancée. De l’autre il est envoyé par le Père, au nom de Jésus (Jean 14.26) ; Jésus l’envoie et il vient de la part du Père ; voir (Jean 15.26) Esprit. Vieux problème, jamais tout à fait résolu. »


103 Maurice Bucaille, La Bible, le Coran et la science. Les Ecritures saintes examinées à la lumière des connaissances modernes. Ed. Desclée de Brouwer, Paris, 1978.


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A ce premier problème s’en ajoute un autre. Le Paraclet annoncé « ne viendra qu’après le départ de Jésus ». Prétendre que le Paraclet est l’Esprit de vérité, c’est donc affirmer que l’Esprit Saint était absent lors de la vie publique de Jésus, ce qui contredit l’Evangile lui-même où l’on peut lire par exemple :


Tout le peuple se faisant baptiser, Jésus fut aussi baptisé. Et, pendant qu’il priait, le ciel s’ouvrit, et le Saint Esprit descendit sur lui. (Luc 3, 21-22)


Il convient, pour résoudre cette double difficulté, de revenir au sens initial du grec Parakletos et à son utilisation en dehors de l’Evangile de Jean. Alexandre Westphal écrit à ce sujet : « Le grec Parakletos désigne, en dehors du Nouveau Testament, celui qui est appelé comme patron d’une cause, défenseur, pour plaider, pour intercéder. » On peut aussi lire dans le Petit Dictionnaire du Nouveau Testament d’A. Tricot : « Paraclet était un terme couramment employé par les Juifs hellénistes du 1er siècle au sens d’intercesseur, de défenseur. » Rejetant le terme « avocat », qui renferme un sens juridique absent du terme Paraclet, David Pastorelli, après une longue étude sémantique du grec Parakletos, écrit dans la conclusion de son ouvrage intitulé Le Paraclet dans le corpus johannique : « Le sens d’intercesseur est fermement établi, aussi bien en 1 Jean 2, 1-2 que chez Philon et dans la littérature rabbinique, chrétienne primitive ou patristique. »104


La traduction la plus juste de Paraclet est donc « intercesseur », terme qui ne convient qu’à un homme105. C’est la raison pour laquelle, nombreux sont ceux qui traduisent Parakletos par consolateur plutôt qu’intercesseur, terme en effet plus approprié à l’Esprit Saint, mais impropre comme le reconnaît le dictionnaire


104 Le Paraclet dans le corpus johannique, David Pastorelli, p. 291, Berlin, 2006.


105 C’est pourquoi, nombreux sont ceux qui traduisent Parakletos par consolateur plutôt qu’intercesseur, terme en effet plus approprié à l’Esprit Saint, mais impropre comme le reconnaît le dictionnaire Vigouroux : « L’idée de consolateur, tout en étant comprise dans celle de paraclet, restreint trop le sens de ce terme. » (Dictionnaire de la Bible de Vigouroux, tome 4, deuxième partie, p. 2119)


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Vigouroux : « L’idée de consolateur, tout en étant comprise dans celle de paraclet, restreint trop le sens de ce terme. »


Jésus fut lui-même un Paraclet, comme l’indique cet autre passage de l’Evangile de Jean (14, 16) où il affirme : « Je prierai le Père, et il vous donnera un autre Paraclet »106 ou encore la première épître de Jean où il utilise le même mot, Paraclet, pour désigner Jésus en tant qu’intercesseur auprès du Seigneur : « Et si quelqu’un a péché, nous avons un avocat auprès du Père, Jésus Christ le juste. »107 Au sujet de ces paroles de l’épître de Jean, le dictionnaire Vigouroux écrit : « Le Sauveur (Jésus) remplit ici l’office de paraclet en intercédant pour nous et en s’interposant de manière à nous défendre efficacement contre la justice du Père. »108


Maurice Bucaille ne peut donc que conclure : « On est alors conduit en toute logique à voir dans le Paraclet de Jean un être humain comme Jésus, doué de faculté d’audition et de parole, facultés que le texte grec de Jean implique de façon formelle. Jésus annonce donc que Dieu enverra plus tard un être humain sur cette terre pour y avoir le rôle défini par Jean qui est, soit dit en un mot, celui d’un prophète entendant la voix de Dieu et répétant aux hommes son message. Telle est l’interprétation logique du texte de Jean si l’on donne aux mots leur sens réel. »


Le Paraclet est donc un être humain de même nature que Jésus et ayant la même mission, puisque ce dernier annonce « un autre


106 Affirmer que le Paraclet est l’Esprit Saint revient donc à dire qu’il y a deux « Esprits Saints », et le dogme de la Trinité tombe à l’eau. Devant cette difficulté insurmontable, André-Marie Gérard ne peut qu’admettre dans son Dictionnaire de la Bible (p. 1046) que « le mot n’est pas un synonyme d’Esprit, mais qu’il n’en est que l’épithète. Car le Christ lui-même est un Paraclet ». Comprenne qui pourra !


107 1 Jean 2, 1. Louis Segond et la Bible de Jérusalem traduisent dans cette épître de Jean le grec « Parakletos » par avocat (intercesseur) car le terme est clairement appliqué à Jésus. Mais dans l’évangile de Jean, les traducteurs ont préféré garder le terme « Paraclet » ou le traduire par « consolateur », sans doute empêchés par la mention de l’Esprit Saint immédiatement après, visiblement incompatible avec la notion d’intercession.


108 Dictionnaire de la Bible de Vigouroux, tome 4, deuxième partie, p. 2118-2119.


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Paraclet » comme lui, un intercesseur chargé de plaider la cause des hommes auprès du Seigneur.


Comment donc expliquer la mention, dans l’Evangile de Jean, de l’Esprit de vérité (16, 13) ou de l’Esprit Saint (14, 26) immédiatement après celle du Paraclet ? Certains pensent qu’il s’agit d’un ajout, peut-être un simple commentaire des scribes. Ainsi le bibliste André Paul109 écrit : « La tradition chrétienne a identifié cette figure à celle de l’Esprit Saint. Cependant, le caractère originaire de cette identification a été suspecté et l’on a parfois émis l’idée que le Paraclet était d’abord une figure salvatrice indépendante, confondue seulement ensuite avec l’Esprit Saint. »


De même, George Johnston mentionne dans The Spirit-Paraclete in the Gospel of John un certain nombre de commentateurs pour qui le Paraclet n’est pas l’Esprit Saint : « A la suite de F. Spitta, H. Delafosse, H. Windisch, H. Sasse et R. Bultmann, Betz affirme que le Paraclet et l’Esprit Saint représentent deux réalités différentes. »110


Selon Maurice Bucaille, cet ajout pourrait bien être intentionnel : « La présence des mots Esprit Saint dans le texte que nous possédons aujourd’hui pourrait fort bien relever d’une addition ultérieure tout à fait volontaire, destinée à modifier le sens primitif d’un passage qui, en annonçant la venue d’un prophète après Jésus, était en contradiction avec l’enseignement des Eglises chrétiennes naissantes, voulant que Jésus fût le dernier des prophètes. »


Le rôle d'intercesseur du prophète Mouhammad est l'un des fondements du credo musulman, presque aussi central que le rôle de rédempteur du Messie dans le christianisme. Mais, contrairement à la Rédemption, le dogme de l'intercession, déjà présent dans le judaïsme, trouve sa source dans les textes fondateurs de l'islam. Le verbe « intercéder » et ses dérivés


109 Auteur de l’article sur le Paraclet dans l’Encyclopédie Universalis.


110 The Spirit-Paraclete in the Gospel of John, George Johnston, p. 115, Cambridge, 1970.


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apparaissent plus de vingt fois dans le Coran, comme dans ce verset :


Craignez le Jour où nul ne pourra rien pour son prochain, où nulle intercession ne sera acceptée sans l'autorisation de Dieu, où nul ne pourra racheter son âme et où nul ne pourra être sauvé s'il meurt dans l'impiété. (Coran 2, 48)


La notion d'intercession est également très présente dans la tradition du Prophète dont on rapporte ces paroles :


J'ai intercédé auprès de mon Seigneur en faveur de ma nation.


Son intercession sera réservée, le Jour dernier, aux membres de sa nation. Mouhammad ne sera cependant pas le seul à intercéder en ce Jour puisque les autres prophètes, les anges et même les vertueux pourront intercéder en faveur des croyants.


Qui est le fils de l’homme ?


« C’est pourquoi, vous aussi, tenez-vous prêts, car le Fils de l’homme viendra à l’heure où vous n’y penserez pas. » (Matthieu 24, 44)


Quiconque lit ces paroles de Jésus sans les commentaires chrétiens qui les accompagnent généralement en déduira sans le moindre doute que celui-ci annonce la venue d’un autre que lui, appelé « fils de l’homme » et d’une importance capitale, comme le prouvent les mots : « tenez-vous prêts ».


L’expression « fils de l’homme » est bien connue des juifs auxquels s’adresse Jésus, elle fait référence à la vision de Daniel dont nous avons déjà parlé111 et en particulier à ce passage qui décrit le « fils de l’homme » par lequel le royaume de Dieu sera établi à jamais sur terre :


Je regardai pendant mes visions nocturnes, et voici, sur les nuées des cieux arriva quelqu’un de semblable à un fils de l’homme. Il s’avança vers l’ancien des jours et on le fit approcher de lui. On lui donna la domination, la gloire et le règne, et tous les peuples, les nations, et les


111 Vision où Daniel voit quatre bêtes symbolisant l’empire babylonien, l’empire médo-perse, l’empire grec, et enfin l’empire romain détruit par le « fils de l’homme » qui établira un cinquième empire indestructible.


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hommes de toutes langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle qui ne passera point, et son règne ne sera jamais détruit. (Daniel 7, 13-14)


Les commentateurs chrétiens nous expliquent pourtant, contre toute évidence, que Jésus, en Matthieu 24, 44, parle de lui-même, annonçant son propre retour : la parousie. Or, comme ici, la formule « fils de l’homme », qui apparaît près de quatre-vingt fois dans la bouche de Jésus, est toujours employé à la troisième personne, comme s’il s’agissait d’un autre que lui. Ainsi, Luc fait dire à Jésus :


Je vous le dis, quiconque me confessera devant les hommes, le Fils de l’homme le confessera aussi devant les anges de Dieu, mais celui qui me reniera devant les hommes sera renié devant les anges de Dieu. » (Luc 12, 8-9)


Le même passage, rapporté par Marc :


Car quiconque aura honte de moi et de mes paroles au milieu de cette génération adultère et pécheresse, le Fils de l’homme aura aussi honte de lui. » (Marc 8, 38)


Ce passage est si problématique pour Matthieu qu’il croit nécessaire d’éliminer l’expression « fils de l’homme » au profit du pronom « je », bien plus naturel à cet endroit après le pronom « me », si évidemment Jésus parle de lui-même :


C’est pourquoi, quiconque me confessera devant les hommes, je le confesserai aussi devant mon Père qui est dans les cieux. Mais quiconque me reniera devant les hommes, je le renierai aussi devant mon Père qui est dans les cieux. » (Matthieu 10, 32-33)


L’interprétation dominante depuis Rudolf Bultmann112 est que, puisque Jésus parle du fils de l’homme à la troisième personne, c’est qu’il désigne un autre que lui. Jésus se serait lui-même considéré comme le précurseur d’un autre personnage salvateur. Ce n’est qu’après Pâques, où Jésus serait apparu à certains de ses


112 Die Frage nach dem messianischen Bewusstsein Jesu und das Petrus-Bekenntnis, ZNW 19, 1919-1920, p. 165-174. Rudolf Bultmann, fils d’un pasteur luthérien allemand, est décrit par le philosophe français André Malet comme « sans doute l’exégète moderne le plus éminent du Nouveau Testament ».


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disciples qui le croyaient mort sur la croix, que les premiers chrétiens l’auraient identifié à cette figure salvatrice du fils de l’homme. Bultmann, mais aussi Hahn, Tödt et Fuller, parmi les plus grands critiques de la Bible, considèrent que Jésus, à travers le fils de l’homme, annonce une personne qui viendra après lui afin de juger les hommes.


D’ailleurs, les disciples de Jésus ne lui attribuent jamais le titre de « fils de l’homme » dans les Evangiles, contrairement à celui de « fils de Dieu » employée treize fois par eux dans le Nouveau Testament pour désigner le Messie113. De même, ce titre n’est jamais appliqué à Jésus par Paul qui connaît parfaitement les Ecritures, et notamment la vision de Daniel, et qui n’aurait pas manqué d’attribuer ce titre plein de gloire à celui qu’il a élevé au rang de Dieu. Ce titre est également absent des formules du credo chrétien.


Tout ceci fait dire à certains commentateurs tel Lietzmann, dans Der Menschensohn (1896), que « l’expression araméenne de l’Evangile, barends (fils de l’homme), n’a pu ni constituer un titre messianique, ni apparaître dans la littérature chrétienne avec ce sens qu’entre les années 60 et 90 », c’est-à-dire, tardivement114.


Par ailleurs, la description du fils de l’homme de Daniel ne correspond en rien à Jésus qui n’a pas détruit l’empire romain répondant au contraire à celui qui lui demandait s’il était permis de payer le tribut à César :


Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. (Matthieu 22, 21)


Il est plus juste de dire que l’empire romain, à travers notamment l’empereur Constantin, a détruit le christianisme, en modifiant le message initial de Jésus, que d’affirmer que le christianisme a détruit l’empire romain. On peut ainsi lire dans Histoire de la destruction du paganisme en Occident : « Presque imperceptiblement, les coutumes païennes s’introduisirent dans l’Église ; la conversion


113 Qui ne s’applique jamais lui-même ce titre !


114 Voir Dictionnaire de la Bible de Vigouroux, tome 2, deuxième partie, p. 2258.


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nominale de l’empereur au début du 5ème siècle causa de grandes réjouissances : le monde, couvert d’un manteau de justice, entra dans le christianisme de Rome. Alors, l’oeuvre de la corruption fit de rapides progrès. Le paganisme paraissait vaincu, tandis qu’il était réellement vainqueur : son esprit dirigeait à présent l’Église romaine. Des populations entières qui, malgré leur abjuration, étaient païennes par leurs moeurs, goûts, préjugés et ignorance, passèrent sous les étendards chrétiens avec leur bagage de croyances et de pratiques superstitieuses. Le christianisme à Rome adopta et intégra une grande partie du système de l’ancien culte impérial ainsi que ses fêtes qui prirent toutes des couleurs plus ou moins chrétiennes. »115


En revanche, dès 638, en l’an quinze de l’hégire, Jérusalem, sous domination romaine, est prise par les musulmans. Deux autres centres chrétiens, Antioche (636) et Alexandrie (642), subiront un sort identique, suivis par Constantinople. Seule Rome, parmi les cinq patriarcats, échappe à la conquête musulmane.


L’empire musulman est en réalité le seul de l’histoire qui fût fondé sur une religion. L’empire romain, quant à lui, existait avant le christianisme qu’il adopte - tout en le transformant - à partir du 4ème siècle sous l'impulsion de Constantin, ce qui n’empêche pas sa disparition rapide puisque les historiens fixent généralement la chute de l’empire romain d’occident en 476, date de l'abdication de Romulus Augustule, et celui d’orient en 1453 avec la prise de Constantinople. En vérité, les Byzantins perdent rapidement la plus grande partie de leurs territoires aux dépens de l’empire musulman, puisque la Syrie et la Palestine sont conquises en 636, l’Egypte en 642, tandis que l’empire perse s’effondre en 651. En un siècle seulement de conquêtes, l’empire musulman s’étend des Pyrénées à l’ouest aux rives de l’Indus à l’ouest et du Sahara au sud à la mer Aral en Asie central au nord. Parties de Médine en 632, les


115 Histoire de la destruction du paganisme en Occident, Arthur Beugnot, vol. 2, p. 264-266.


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armées de l’islam sont à Samarcande, aux portes de la Chine, en 712, et à Poitiers, au coeur de l’Europe, en 732.


Les premiers chrétiens, pour leur part, attendaient le retour imminent du fils de l’homme, Jésus, descendant des nuées et entouré d’anges, afin d’établir le royaume de Dieu sur terre, oubliant ces paroles du Messie : « Mon royaume n’est pas de ce monde. »116 Cette attente s’est maintenue dans les générations suivantes de chrétiens qui n'ont cessé d'appeler ce Royaume de leurs voeux dans le Pater : « Que votre Règne arrive ». Et ils attendent sa venue jusqu’à ce jour !


Conclusion


Nous avons, dans ce chapitre, montré que les prophètes ont annoncé l’avènement de ce prophète qui non seulement prêchera la religion d’Abraham dont les hommes se seront détournés, mais qui fondera un empire terrestre, « le prophète » qu’attendaient les juifs contemporains de Jésus et ceux qui s’étaient installés à Médine et dans sa région peu avant l’avènement de l’islam, et celui que le Messie annoncera à ses disciples peu avant son ascension comme étant le Paraclet, l’intercesseur, ou le « fils de l’homme ». Le prophète Mouhammad a donc été annoncé à travers son peuple, issu d’Ismaël qui selon la promesse divine faite à Abraham devait donner naissance à une « grande nation », à travers son pays, terre de la Révélation par excellence, et même à travers sa cité, la nouvelle Jérusalem mentionnée par les textes. Il fut même


116 Jean 18, 36.


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directement annoncé par les prophètes à travers des prophéties qui, si elles ne lui sont pas appliquées, restent jusqu’à ce jour inaccomplies.


Jusqu’à quand juifs et chrétiens attendront l’accomplissement de leurs Ecritures concernant le prophète promis, le « fils de l’homme », le Paraclet chargé d’intercéder auprès de Dieu en faveur des croyants ? Jusqu’à quand refuseront-ils d’admettre que le royaume de Dieu prophétisé par Daniel et annoncé par Jésus a vu le jour à travers l’empire musulman ? Daniel n’a-t-il pas annoncé que ce royaume provoquerait la chute de l’empire romain disparu depuis des siècles ? Jésus n’a-t-il pas prévenu ses disciples, il y a plus de deux mille ans, de la proximité de son avènement ? Qu’attendent-ils pour admettre que ce qui fut annoncé par les Ecritures s’est bel et bien réalisé à travers l’avènement du prophète Mouhammad et de l’islam ?


Les hommes d’Eglise ne craignent-ils pas d’être de ceux qui, le Jour dernier, diront à Jésus : « Seigneur, Seigneur, n’avons-nous pas prophétisé par ton nom ? »117 Les chrétiens qui suivent aveuglement les enseignements de l’Eglise118 ne redoutent-ils pas d’être de ceux que décrit Jésus dans ces paroles : « Ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur ! N’entreront pas tous dans le royaume des cieux, mais celui-là seul qui fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux. »119 Or, qui, sinon les chrétiens considèrent le Christ comme leur Seigneur et qui, sinon les musulmans, sont entièrement soumis à la volonté de Dieu !


117 Matthieu 7, 22.


118 Qui ne sont nullement les enseignements de Jésus comme nous le montrerons dans la troisième partie de cette étude.


119 Matthieu 7, 21.



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