Aujourd’hui, J’ai parfait votre religion pour vous et J’ai accompli Mon bienfait sur vous. Et J’ai choisi l’islam comme religion pour vous. » (Coran 5:3)
Je suis née en 1967, dans une petite ville du comté de Sauerland, en Allemagne. Mon jeune frère et moi avons grandi à la campagne, dans une maison multifamiliale, avec mes parents et mes grands-parents. Mon grand-père était directeur d’une école primaire. Mon père, pour sa part, avait rêvé de devenir travailleur forestier, mais avait fini par être enseignant dans une école secondaire. Il aime toujours beaucoup la nature, mais au fil du temps, il semble avoir perdu son amour pour Jésus, au grand désespoir de ma grand-mère, qui a toujours été une fervente chrétienne. Elle est membre d’une petite église au sein de laquelle elle est très active et a tenté, toute sa vie, d’être le meilleur exemple chrétien possible pour ses enfants. Mon grand-père, cependant, est à peine croyant, ce que ma grand-mère n’a découvert qu’après son mariage. Et même s’il s’est toujours senti obligé d’assister à la messe, cela n’a eu aucun effet sur sa quasi absence de foi. Jusqu’à aujourd’hui, après chaque service, mes grands-parents ne peuvent s’empêcher d’entamer des discussions animées sur le christianisme en général et sur le contenu des sermons du prêtre en particulier. Cette situation a inévitablement affecté leurs trois fils; aujourd’hui, seul l’un d’eux fréquente l’église régulièrement.
Ma mère, quant à elle, vient d’une famille où la foi occupe une place importante et où elle n’est jamais sujette à discussion. Où, en fait, rien n’est jamais sujet à discussion. Comme ma mère était la plus jeune enfant, on ne l’a jamais vraiment prise au sérieux. Jusqu’à maintenant, elle regrette qu’on ne lui ait pas permis de choisir la profession qu’elle voulait. On a décidé, pour elle, qu’elle allait épouser mon père, qui était nécessairement un bon parti puisqu’il était le fils d’un enseignant. Et, comme ils étaient tous deux chrétiens, cela ne pouvait que garantir, croyait-on, le succès du mariage.
Pourtant, dès les premières années, le mariage connut des périodes difficiles à cause, justement, de tensions à caractère religieux. Tandis que ma grand-mère était élue première femme au conseil des aînés de son église, mes parents quittaient l’église l’un après l’autre. Puis, vint un jour où ils sentirent qu’ils n’avaient plus rien en commun. Alors, après vingt ans de mariage et plusieurs tentatives de réconciliation, tous deux furent d’accord pour mettre un terme à leur union et leur divorce fut prononcé en 1986.
À cette époque, mon frère et moi n’étions pas très religieux, au désarroi de ma grand-mère. En fait, nous n’avions même pas été baptisés. L’église à laquelle appartenait ma famille ne baptisait pas les enfants, seulement les adultes qui sont en mesure de prendre cette décision de manière éclairée. Et, lorsque nous atteignîmes l’âge adulte, nous décidâmes tous deux de ne pas nous faire baptiser.
Pourtant, j’étais intéressée, et même fascinée par les religions. Le christianisme offre une approche acceptable, la croyance en un Dieu unique, qui a pris contact avec l’humanité par l’intermédiaire de prophètes. Dieu a ainsi pu enseigner aux gens qui ils étaient et comment ils se devaient d’agir, entre eux, et avec leur environnement. Mais avant longtemps, j’avais compris qu’il y avait un problème avec divers concepts chrétiens. Par exemple, que chaque être humain est accablé par le péché et que le péché originel nous colle à la peau depuis notre naissance. Que Dieu a envoyé Son fils sur terre afin qu’il souffre et qu’il meurt sur la croix pour nous libérer du fardeau de nos péchés. Un nombre de questions surviennent inévitablement dans notre esprit : le fils de Dieu, qui était censé être à la fois un homme et Dieu Lui-même, priait pour être sauvé de la crucifixion; mais à qui adressait-il donc ses prières? Sa vie a constitué un tournant dans l’histoire de l’humanité, au point où l’on parle, aujourd’hui encore, de la période « avant » Jésus-Christ et de la période « après » Jésus-Christ. Selon le christianisme, croire en lui est la seule et unique façon d’être sauvé. N’a-t-il pas dit : « Le chemin, c'est moi, parce que je suis la vérité et la vie. Personne ne va au Père sans passer par moi. » (Jean 14:6)
Avec la mort de Jésus, venu pour nous sauver, l’au-delà perd son aspect terrifiant. Le christianisme prêche que Dieu est amour; comment, alors, peut-il y avoir un Enfer? Le diable, qui était un moyen d’oppression pour garder les membres de l’Église à leur place, a été mis à la retraite. Les valeurs du christianisme contemporain se résument à peu près à « aimez votre voisin ». Tant que nous ne causons de tort à personne, tout va bien. Jésus a dit : « Ne vous imaginez pas que je sois venu pour abolir ce qui est écrit dans la Loi ou les prophètes; je ne suis pas venu pour abolir, mais pour accomplir. » (Mathieu 5:17) Dans le christianisme moderne, on ne parle plus des commandements. L’Église s’adapte à son époque, quoique pas assez rapidement pour certains de ses membres.
La Bible n’a presque plus de crédibilité. Elle contient sûrement quelques vérités, mais qui décide de ce qui est vrai, dans son contenu, et de ce qui ne l’est pas? Qui décide de ce qui est valide et de ce qui ne l’est pas? L’Église? Les théologiens? Ou chaque individu? N’est-il pas vrai que la plupart des gens, au meilleur de leurs connaissances et de leur conscience, se créent un système de croyance personnel? Soyons honnêtes et reconnaissons, au moins, que ce en quoi croient la plupart des « chrétiens » d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec le christianisme. Alors qu’ils cessent donc d’appeler leurs croyances « christianisme ».
J’entends déjà les chrétiens protester. Car selon eux, tant que la base commune est là, alors tout va. Mais… où est-elle, au juste? La vraie révélation, les paroles que Dieu a transmises à Jésus de Nazareth, où sont-elles? Dans la Bible, il n’y a pas un seul chapitre qui leur soit dédié.
Les phrases cliché sur la foi, qui ont souvent divisé l’Église, ont, le plus souvent, été tirées de comptes-rendus et de lettres historiques ou encore décidées lors de conférences théologiques, puis érigées au rang de doctrine. Combien de fois ai-je entendu : « N’essaie pas de comprendre, tu ne le peux pas; il te suffit d’avoir la foi »! Je crois, personnellement, que si Dieu nous a donné un cerveau et un intellect, c’est pour en faire bon usage. Et je crois que si je m’interroge sur un message transmis par Dieu, j’ai droit à des réponses plus claires que celles-là.
C’est d’ailleurs exactement ce que j’avais dit à mon professeur de religion, quand nous étions allés, avec la classe, passer un weekend dans un monastère peu de temps avant la remise des diplômes. Ils appelaient cela « journées de réflexion ». La réponse de mon enseignant me surprit. Il me dit : « Dieu ne te laissera pas tomber, tu vas voir. » Sa prédiction finit par s’avérer, même s’il avait probablement imaginé les choses différemment.
Mon intérêt pour Dieu et la religion me rattrapa quand mon chemin croisa celui de l’islam. Après avoir obtenu mon diplôme d’études secondaires, je déménageai dans une autre ville pour aller étudier l’économie à l’université. À cette époque, je croyais avoir choisi un domaine d’études qui me permettrait de me trouver facilement un emploi. Je n’éprouvais qu’un intérêt tiède pour l’économie, mais je me dis que mes années d’études passeraient rapidement. Je me trompais. L’atmosphère du département était suffocante et très déprimante. Les salles d’audition étaient bondées et étouffantes et des cours ennuyeux étaient donnés par des professeurs encore plus ennuyeux. Personne ne les écoutait et les étudiants passaient les périodes de cours à parler de tout et de rien.
La vie étudiante était à l’opposé des cours, c’est-à-dire trépidante. Jusque-là, j’avais vécu toute ma vie dans une petite ville. Mais tout à coup, c’était comme si tout un monde nouveau s’ouvrait à moi. J’eus l’occasion de rencontrer toutes sortes de personnes différentes avec lesquelles je discutai de Dieu et du monde en général. Parmi mes nouvelles connaissances se trouvaient quelques étudiants étrangers de confession musulmane. Alors le sujet de l’islam fut soulevé.
J’avoue que je trouvais plutôt amusant, à l’époque, de savoir qu’il y avait des gens, en ce monde, qui suivaient, avec le plus grand sérieux, des lois divines datant d’avant le Moyen-Âge. Mais, en réalité, les choses étaient bien différentes de l’image que je m’en faisais. La vie des étudiants étrangers, en Allemagne, n’a rien à voir avec les contes des Mille et une nuits. Au début, je le reconnais, je posais à mes voisins de résidence musulmans des questions plutôt ridicules ou encore provocatrices. Je leur demandais, par exemple, pourquoi le fait de couper des tomates ne faisait pas l’objet d’un rituel ou pourquoi les musulmans, qui invoquent Dieu avant et après avoir bu ou mangé ne L’invoquaient jamais avant et après avoir bu une bière au pub?
Mais, plus j’en apprenais sur l’islam et moins ces blagues me paraissaient amusantes. Je découvris que l’islam n’était pas aussi étrange que je l’avais imaginé et qu’il contenait de nombreux aspects que j’avais toujours aimés dans le christianisme, dont la croyance en un Dieu unique. Dieu, en arabe, est appelé « Allah », nom qui ne veut rien dire de plus que « le Dieu » et qui est même utilisé dans la version arabe de la Bible.
Comme les chrétiens, les musulmans croient que Dieu a envoyé des prophètes pour guider les hommes sur la bonne voie. En étudiant l’islam de plus près, je découvris des noms qui m’étaient familiers : Noé, Abraham, Moïse, Jonas, Zacharie, Jean (le Baptiste) et Jésus, entre autres.
J’appris que Mohammed, fils d’Abdoullah, qui vécut au 7e siècle de notre ère, en Arabie, était, selon les musulmans, le dernier prophète envoyé par Dieu. Dieu lui avait transmis le Coran et ce livre constituait donc la base de tous les enseignements islamiques.
Je lus le Coran. Dès les premières pages, on peut y lire :
« Voici le Livre au sujet duquel il n’y a aucun doute. » (2:2)
Un autre point intéressant que je découvris par la suite est que plusieurs scientifiques et intellectuels occidentaux et non-musulmans s’accordent pour dire que certains versets du Coran sont tout simplement miraculeux. Même d’un point de vue purement littéraire et linguistique, le Coran est considéré comme un miracle et c’est lui qui a établi les bases de l’arabe classique.
Le contenu du Coran est aussi remarquable que sa forme. On ne peut certainement pas réduire cette œuvre à un simple « livre d’histoire arabe », tel que l’a décrit un orientaliste connu. Au contraire, il contient des faits étonnants sur la nature, la société et, d’une manière générale, sur tout ce qui a trait à la vie des êtres humains.
Le Coran dit :
« Lis! Ton Seigneur est le Très Généreux, qui a enseigné par la plume, a enseigné à l’homme ce qu’il ne savait pas. » (96:3-5)
Un des faits historiques étonnants que l’on retrouve dans le Coran a trait au pharaon d’Égypte de l’époque de Moïse. Dans l’histoire de Joseph, le Coran parle d’un roi, tandis que dans l’histoire de Moïse, il parle d’un pharaon. La raison de cette différence ne fut connue que lorsque Champollion, à l’aide de la pierre de rosette, parvint à déchiffrer les anciens hiéroglyphes égyptiens. Il s’est avéré qu’à la fin du moyen empire d’Égypte, les tribus hyksôs, originaires d’Asie, occupaient le Nord de l’Égypte. Un roi régnait sur cette région à l’époque correspondante à celle du prophète Joseph. Sous le règne hyksôs, Joseph devint le conseiller du roi et le peuple d’Israël émigra en Égypte, où il fut accueilli à bras ouverts.
Au 16e siècle avant Jésus-Christ, durant le règne du pharaon Ahmôsis, les Égyptiens reprirent le pays. Le peuple d’Israël était détesté à cause de sa coopération avec le roi qui régnait dans le Nord du pays. Ce qui explique pourquoi le peuple d’Israël, à l’époque de Moïse, était opprimé et esclave. Le Coran fait une distinction entre les termes « roi » des Hyksôs et « pharaon » des Égyptiens.
Plus loin, dans l’histoire de Moïse, Dieu dit :
« Nous allons aujourd’hui épargner ton corps afin que tu sois un signe pour ceux qui viendront après toi. Mais en vérité, beaucoup de gens ne prêtent aucune attention à Nos signes. » (10:92) (Ce verset fait allusion à la momification du corps du pharaon.)
Le Coran fait par ailleurs mention de plusieurs fait scientifiques ayant trait à la création des cieux et de la terre. Dieu dit :
« Ceux qui ne croient pas ne savent-ils pas que les cieux et la terre ne formaient, à l’origine, qu’une masse compacte? Puis, Nous les avons séparés et fait de l’eau toute chose vivante. » (21:30) (Cette description correspond parfaitement aux plus récentes découvertes scientifiques dans le domaine.)
Le Coran décrit à la perfection divers phénomènes naturels tels la formation des nuages, le développement embryonnaire, la chimie de la digestion et l’expansion de l’univers, entre autres. Jusqu’à maintenant, aucune découverte scientifique n’est venue contredire quelque verset coranique que ce soit. Au contraire, certains passages du Coran n’ont été réellement compris que tardivement, suite à certaines découvertes scientifiques, qui sont venues les confirmer. Et, à de nombreuses reprises, à travers le Coran, Dieu demande aux hommes et aux femmes d’utiliser leur intellect pour reconnaître et apprécier la vérité.
Avec l’aide du Coran, les bédouins arabes et les commerçants réussirent à bâtir des sociétés dans lesquelles non seulement les sciences, mais aussi les beaux-arts connurent un essor remarquable. Pendant ce temps, l’Europe baignait encore dans le Moyen-Âge.
Sur la croyance et la foi, le Coran dit :
« Nulle contrainte en religion. La bonne voie est désormais distincte de l’erreur. Celui qui rejette les fausses divinités et croit en Dieu a saisi l’anse la plus solide, qui ne se brisera jamais. Dieu entend tout, et Il est Omniscient. » (2:256)
La théologie islamique est aussi claire que la profession de foi de l’islam : « Nulle divinité ne mérite d’être adorée à part Allah et Mohammed est Son dernier prophète. »
La notion du péché originel n’existe pas, en islam. Dieu dit :
« Chaque âme n’acquiert le mal qu’à son propre détriment et personne ne portera le fardeau d’autrui. » (6:164) (Après qu’Adam et Ève eurent commis leur péché, Dieu leur apprit à se repentir.)
Le fils de Dieu? Voici ce que Dieu a à dire, à ce sujet :
« Dis : « Il est Dieu, l’Unique. Dieu, le Seul à être imploré pour ce que nous désirons. Il n’a jamais engendré et n’a pas été engendré. Et nul ne peut L’égaler. » (Sourate 112) Jésus n’était rien de plus qu’un prophète de Dieu!
Jésus fut-il un point tournant dans l’histoire de l’humanité? Absolument pas. Au contraire, l’histoire démontre qu’il y a eu une continuité constante dans l’envoi de prophètes. Depuis le tout début, il n’y a jamais eu qu’une seule et unique religion, celle de la soumission à Dieu, c’est-à-dire l’islam. Cette religion est celle qui fut prêchée par tous les prophètes de Dieu, incluant Abraham, Moïse et Jésus. Le prophète Mohammed fut le dernier d’entre eux et, comme eux tous, n’était rien de plus qu’un être humain choisi pour transmettre le message de Dieu à l’humanité. Le sermon que livra son grand ami Abou Bakr, après qu’il se fut éteint, a été préservé jusqu’à aujourd’hui. Il dit, en s’adressant aux musulmans en deuil : « S’il en est, parmi vous, qui adoraient Mohammed (que la paix et les bénédictions de Dieu soient sur lui), qu’ils sachent que Mohammed est mort. Mais à ceux qui adoraient et adorent encore Dieu, je dis : en vérité, Dieu est vivant et jamais Il ne mourra. » Puis, il rappela aux gens le verset suivant :
« Mohammed n’est qu’un messager. Avant sa venue, des messagers (comme lui) sont passés. S’il mourait, donc, ou s’il était tué, feriez-vous marche arrière? Celui qui se détourne (de l’islam) ne nuit point à Dieu. Et Dieu récompensera ceux qui sont reconnaissants. » (3:144)
L’église? Il n’y en a pas. Aucune organisation, aucune hiérarchie ni sacrements. Tout musulman(e) peut prêcher, officier un mariage ou mener la prière funéraire pour un mort.
Des interprétations des écritures? Les musulmans s’entendent généralement sur les grands axes de l’islam. Dieu est Dieu et les prophètes étaient des êtres humains. Le Coran est la parole de Dieu, tout comme les livres révélés aux autres prophètes. Les anges sont réels et la résurrection est une certitude. Contrairement aux érudits chrétiens, les érudits musulmans s’intéressent surtout à l’application des principes religieux. Ils émettent des opinions religieuses en se basant sur le Coran et la sounnah (i.e. ce que le prophète Mohammed a dit, fait ou approuvé). Ces opinions sont appelées « fatwa ». Aucun érudit ne peut prétendre recevoir son autorité de Dieu Lui-même. Une fatwa réflète toujours l’opinion personnelle que s’est formée l’érudit sur la base des preuves écrites. On peut donc l’accepter ou ne pas en tenir compte.
Près d’un milliard de personnes, à travers le monde, sont musulmanes. Et l’islam n’a toujours pas perdu son pouvoir d’attraction. Le mot « islam » comprend la même racine linguistique que le mot « salam », qui signifie « paix ». Le mot « islam » vient donc du mot « paix », paix avec Dieu, avec le monde qui nous entoure et avec nous-mêmes.
J’étudiai l’islam et je finis par en acquérir une bonne compréhension. Mais je ne me résignais pas à accepter la vérité. Peut-être étais-je trop paresseuse, en ce sens que je n’avais pas envie de changer mon mode de vie. Car l’islam, c’est bel et bien un mode de vie de chaque instant. Le christianisme, par contraste, tend à s’éloigner de la réalité quotidienne des gens. La piété prête-à-porter, que l’on revêt pour le service du dimanche, est remisée tout le reste de la semaine et on n’en parle plus.
Malgré tout, je me décidai enfin à « essayer » l’islam. Je me joignis à la communauté musulmane de mon voisinage pour le jeûne du Ramadan, mois au cours duquel le musulman ne mange ni ne boit du lever au coucher du soleil. Et, chaque soir, nous nous rassemblions pour rompre le jeûne ensemble. Il nous arrivait également de cuisiner ensemble le repas. Un étudiant égyptien du nom de Mohammed se révéla un excellent cuisinier. Mohammed me prit à part à quelques reprises, durant le mois, et m’encouragea à poser des questions. J’en profitai donc pour lui poser toutes les questions qui me trottaient dans la tête et pour lesquelles il me donna des réponses plus que satisfaisantes. Durant ces soirées de rupture du jeûne, j’eus également l’occasion d’observer les autres prier. Et, une fois seule, chez moi, je tentais de répéter ce que j’avais vu; je m’inclinais et me prosternais et, comme je ne connaissais pas les paroles, j’improvisais. Parallèlement, je commençai à réduire ma consommation d’alcool et de porc. Et, un jour, j’allai même prendre une marche en ville avec un foulard sur la tête, juste pour voir comment j’allais me sentir ainsi vêtue. Enfin, j’appris pourquoi les Palestiniens, dans les résidences étudiantes, laissaient une bouteille d’eau dans les toilettes; pour les musulmans, il est préférable de se laver à l’eau après être allé aux toilettes.
Plusieurs musulmans, dans mon entourage, se demandaient pourquoi je m’intéressais à l’islam, car la plupart d’entre eux n’étaient guère pratiquants. Ils se défendaient pourtant en disant : « Bien sûr que je suis musulman! Si j’habitais dans mon pays d’origine, j’appliquerais le Coran. Mais ici, en Europe, c’est différent. Et puis, je suis encore jeune. J’ai encore du temps devant moi pour devenir pieux et plus pratiquant. » Tel était le discours que j’entendais régulièrement.
Mais il y avait tout de même quelques rares musulman(e)s qui s’efforçaient de respecter leur religion. Un de mes voisins de résidence, Mohammed (le cuisinier), faisait partie de ceux-là. Il avait un bac en biophysique, qu’il avait obtenu en Égypte, et il était venu en Allemagne pour compléter son doctorat. Lorsque je le rencontrai, la première fois, cela faisait six mois qu’il était en Allemagne et prenait toujours des leçons d’allemand à l’université.
Sa religion, c’était tout son univers. Il connaissait bien la plupart des sujets de l’islam. D’ailleurs, les autres étudiants musulmans l’appelaient « sheikh », un surnom que je trouvais étrange pour un jeune homme de 24 ans, sportif avec des cheveux bouclés noirs. Mohammed lui-même n’appréciait pas particulièrement le surnom; il sentait que cela lui mettait trop de pression sur les épaules.
Quiconque, parmi les étudiants musulmans, avait besoin d’aide ou d’un conseil allait voir le « sheikh ». Si un étudiant avait besoin d’une chambre ou encore de se rendre à l’hôpital ou même, tout simplement, de vendre ses livres usagés, il allait voir Mohammed.
Au début, notre « amitié » se développa lentement, car Mohammed s’efforçait d’être à la hauteur de l’image du musulman pratiquant qu’on lui avait collée. Il se tenait loin de tout ce qu’il considérait comme une tentation. Et, pour un musulman, les femmes appartiennent définitivement à cette catégorie. Mais il sentait également qu’il avait une responsabilité religieuse envers moi et qu’il ne pouvait repousser quelqu’un qui s’intéressait à l’islam.
Personnellement, j’aimais beaucoup discuter avec lui. J’avais rarement rencontré une personne aussi ouverte d’esprit que lui. Nous parlions d’islam et du monde en général, mais toujours dans des lieux publics. Nous apprîmes beaucoup l’un de l’autre et Mohammed devint un ami fiable pour moi.
Pendant ce temps, j’avais complètement perdu intérêt dans mes études en économie. Comme je n’y mettais plus d’effort, mes notes s’en ressentirent; alors je décidai de me réorienter et de m’inscrire aux études orientales. Je me disais que de bonnes notes dans ce domaine me seraient plus utiles que de mauvaises notes en économie. Je trouvai mes nouveaux cours fort intéressants. J’y découvris une multitude de nouveaux sujets que j’intégrai à mes conversations avec Mohammed.
C’est au cours de cette période que je me mis à soutenir de plus en plus les musulmans. J’étais de plus en plus agacée par les manières condescendantes du personnel universitaire envers les musulmans. Malgré cela, j’avais de la difficulté à m’imaginer moi-même musulmane. Je me disais que ce qui est bon pour les femmes arabes ne l’est pas nécessairement pour les femmes allemandes. Je me demandais comment une Allemande pouvait bien vivre comme une musulmane. J’avais bien sûr entendu parler d’Allemandes converties, mais je n’en avais jamais rencontré. Du moins jusqu’à quelques jours avant les vacances du printemps; je découvris alors qu’une des étudiantes qui suivait des cours d’arabe avec moi était une Allemande convertie.
Il faisait encore froid, à l’extérieur, et chaque fois que cette femme quittait la salle de cours, elle mettait sa longue écharpe de laine sur sa tête. Un jour, je lui demandai s’il y avait une autre raison que le froid qui la poussait à se couvrir ainsi la tête; elle me répondit par l’affirmative.
Heide, tel était son nom, était mariée à un musulman libanais. Lorsqu’elle s’était convertie, elle avait changé son nom pour Khadija. Elle suivait le cours d’arabe pour accumuler des crédits dans le cadre du programme d’enseignement de l’allemand langue seconde qu’elle étudiait.
J’appris d’elle qu’il y avait, dans notre ville, un regroupement de musulmanes parlant l’allemand. J’acceptai son invitation à l’accompagner à l’une des rencontres du groupe. Et, à partir de là, tout se mit à aller très vite.
Heide offrit de venir me prendre en voiture pour notre première visite au regroupement. Alors nous nous donnâmes rendez-vous quelque part en ville. Cette fois, Heide portait un « vrai » hijab, qu’elle avait drapé de manière très élégante autour de sa tête. J’avais apporté un foulard et j’étais quelque peu nerveuse. Comment serais-je accueillie en tant que non-musulmane? Quel genre de femmes allais-je rencontrer? Heide me rassura, me dit que les invitées étaient toujours bienvenues et qu’il n’était pas nécessaire que je porte un foulard pour aller à cet endroit.
Heide elle-même était relativement nouvelle au sein de l’islam. Mais elle connaissait très bien la communauté islamique de notre ville. Elle mettait du cœur dans tout ce qu’elle faisait. On lui avait déjà proposé un poste d’enseignante dans une école musulmane. Alors que nous roulions vers le lieu du regroupement, elle me dit :
« Le groupe est constitué d’une trentaine de femmes d’origine allemande et turque. Elles se rencontrent une fois par semaine dans les locaux d’un organisme islamique turc. La responsable du groupe, Maryam, est une Allemande convertie dans la cinquantaine. Elle a vécu quelques années en Turquie, avec son mari, où ils ont tous deux participé à de nombreuses activités liées à l’islam. Maryam, qui est maintenant veuve, a décidé de continuer dans la même voie et organise toutes sortes d’activités pour les musulmans. Elle donne des conférences sur divers sujets islamiques et a fondé ce groupe de femmes que nous allons rejoindre. Durant la rencontre, Maryam donne habituellement une courte leçon sur l’islam, puis les femmes restent sur place pour boire un thé et discuter. »
Cette semaine-là, c’était au tour de Heide d’apporter le gâteau qui allait accompagner le thé. Comme elle l’avait mis à cuire un peu tard, nous étions légèrement en retard. Alors elle accéléra en disant : « Maryam n’aime pas que les gens arrivent en retard. » Nous ne trouvâmes aucune place de stationnement près du bâtiment où nous allions, alors Heide fit le tour et entra dans la grande cour arrière. Juste à ce moment, une des voitures stationnées dans la cour s’apprêtait à quitter et un homme d’apparence turque nous fit signe de prendre la place libérée.
L’endroit était bondé et je demandai à Heide si tout le monde se rendait au même local que nous. Elle rit : « Ce serait bien ». Mais l’endroit était bondé parce que l’immeuble abritait plusieurs organismes turcs dont les membres se rencontraient régulièrement.
Dès que nous ouvrîmes la porte, Heide fut accueillie chaleureusement. « Hé, Khadija! Comment vas-tu? As-tu apporté un de tes délicieux gâteaux? Les autres sont dans la cuisine; Maryam est sur le point de commencer sa leçon. » Des femmes vêtues de longues robes et de grands foulards nous croisèrent. Et j’entendis à de multiples reprises la salutation islamique « assalamou’alaikoum ».
Je fus accueillie de la même manière que Heide et plusieurs des femmes présentes m’embrassèrent sur les joues. Les invitées étaient donc les bienvenues! Les femmes étaient contentes de ma présence et admiraient mon courage de venir constater par moi-même comment étaient les musulmans entre eux.
Comme nous étions arrivées à la dernière minute, la leçon débuta à peine quelques instants plus tard. Heide déposa son gâteau dans la cuisine, puis nous allâmes rejoindre les femmes dans l’autre salle. Cette salle était recouverte de tapis gris. Et, à part une étagère à livres, contre un des murs, elle ne contenait aucun meuble. Les femmes étaient assises en cercle, à même le sol. Elles avaient laissé leurs chaussures à l’extérieur de la salle, tel que le veut la coutume dans les mosquées et les demeures musulmanes.
Maryam avait disposé plusieurs livres devant elle. C’était une femme corpulente avec des yeux bleu clair qui nous regardaient amicalement sous un simple foulard blanc. Ce jour-là, elle parlait de la continuité de l’histoire telle que documentée dans le Coran. Elle parla des différents prophètes, qui avaient tous transmis le même message de monothéisme. La leçon ne contenait pas vraiment de nouvelles informations pour moi. L’islam reconnaît la plupart des grands prophètes de l’Ancien et du Nouveau Testaments. Certains détails de leurs histoires respectives diffèrent, mais grosso modo, ce sont les mêmes histoires.
En fait, mon attention fut plus attirée par les personnes présentes que par la leçon que chacune écoutait d’une oreille plus ou moins attentive. « N’est-il pas étonnant de constater qu’entre chaque prophète, le message de Dieu avait été oublié, encore et encore? » Pour certaines des femmes présentes, l’information semblait nouvelle. « Dans le Coran, il y a une sourate qui situe les histoires des prophètes dans un contexte global. Qui sait à quelle sourate je fais allusion? » Il y avait des femmes de tous les âges, plusieurs d’origine allemande et quelques jeunes filles turques, manifestement de jeunes étudiantes, qui ne cessaient de se chuchoter des choses à l’oreille et qui passaient leur temps à sortir de la salle pour y revenir quelques instants plus tard, ce qui dérangeait Maryam à chaque fois. Elle finit d’ailleurs par dire : « Si vous ne voulez pas écouter, restez donc à l’extérieur de la salle! » Toutes les femmes avaient la tête couverte; leurs foulards étaient de toutes les couleurs et de tous types de tissus, simplement attachés sous le menton ou savamment drapés autour de leur tête. Certaines faisaient descendre leur foulard sur leur front, tandis que d’autres montraient la lisière de leurs cheveux. « Les gens se tournent toujours vers Dieu quand ils ont des problèmes et se détournent de Lui lorsqu’ils sentent qu’ils n’en ont plus besoin. » Certaines femmes avaient amené avec elles de jeunes enfants.
L’un d’eux découvrit l’interrupteur de la lumière de la pièce et s’amusa à l’éteindre et à le rallumer. « Svp, pouvez-vous éloigner cet enfant de l’interrupteur? » Finalement, la mère de l’enfant emmena ce dernier dans la cuisine, où il vit le gâteau de Heide, ce qui le tint occupé pour au moins un quart d’heure. Mais, quand plusieurs portables se mirent à sonner à peu près au même moment et qu’une des étudiantes turques vint demander combien de tasses de thé et de café elle devait préparer, Maryam en eut assez et dit : « Nous continuerons la semaine prochaine; allons prendre le thé. » C’est alors que j’eus enfin l’occasion de discuter avec les autres femmes, qui me firent sentir comme si j’étais leur sœur. « Tu prends du café ou du thé? » « Sers-toi du gâteau! » Bientôt, tout le monde parlait en même temps et de petits groupes de femmes se formèrent ici et là. Évidemment, toutes voulaient savoir qui j’étais et la raison pour laquelle je me trouvais parmi elles. Maryam raconta combien de temps cela avait pris pour que sa foi augmente et devienne vraiment présente dans sa vie. « Mais je n’ai jamais regretté ma décision de me convertir à l’islam. » Heide, quant à elle, ne connaissait pas beaucoup l’islam au moment de se convertir. Mais elle ajouta que jusqu’alors, elle n’avait été que positivement surprise. Ce qui l’avait d’abord attirée vers l’islam avait été son mode de vie sain; abstinence de drogues et d’alcool, prières, jeûnes, règles d’hygiène; tout cela avait beaucoup de sens pour elle, qui enseignait la biologie et l’éducation physique.
Maryam parla du fait que les cinq prières quotidiennes avaient fait du bien à son dos. Puis elle parla de ses années en Turquie et de l’histoire turque. Ce jour-là, je fis la connaissance de plusieurs femmes et chacune me raconta comment elle avait été amenée à se convertir à l’islam.
Après son divorce, Hamida était devenue amie avec un couple turc et c’est ainsi qu’elle avait découvert l’islam, pour ensuite se convertir. Sa fille de 15 ans, Nina, était restée chrétienne. Elle était pourtant parmi nous, à la rencontre.
Fatima-Elizabeth, étudiante en enseignement dans la mi-vingtaine, avait trouvé, quelques années auparavant, un emploi d’été étudiant dans une usine et sa voisine de travail était une musulmane d’origine allemande. La famille de Fatima-Elizabeth était catholique très pratiquante. Ses parents reçurent un choc lorsqu’ils apprirent que leur fille s’était convertie à l’islam. Mais après quelques années, ils firent tous des efforts pour s’entendre et tout se passait maintenant assez bien.
Sabine, une infirmière qui avait connu l’islam par l’intermédiaire de son futur époux, n’eut pas cette chance avec sa famille. Son père l’expulsa de la maison à cause de son hijab. Parmi les autres femmes présentes, il y avait des mères, des femmes au foyer, des étudiantes, une secrétaire et une assistante dentaire, entre autres. Il y avait des célibataires, des femmes mariées et des divorcées. Leurs maris venaient de Turquie, du Liban, du Yémen, du Maroc et d’autres pays que j’ai oubliés. Certaines femmes avaient changé leur nom, d’autres l’avaient gardé. En fait, la seule chose commune à toutes ces femmes était leur religion. Et cette religion donnait un sens à leur vie, un cadre dans lequel elles évoluaient au quotidien.
Ce jour-là, j’appris deux choses. D’abord, que ce cadre de vie établi par l’islam n’est pas aussi étroit que je l’avais imaginé. Qu’il n’existe pas de musulman typique et que les musulmans sont loin de former un groupe homogène. Une musulmane est d’abord et avant tout une femme, une femme qui a pris la décision de se rapprocher de Dieu par l’intermédiaire de l’islam. Ces femmes, que j’avais rencontrées, avaient pris la décision d’embrasser l’islam, mais cela ne les avait pas empêchées de rester elles-mêmes.
Ensuite, je réalisai qu’on ne finit jamais d’apprendre. J’avais rencontré toutes ces femmes très pieuses, mais malgré leur piété, elles étaient loin de tout savoir et elles étaient en perpétuel apprentissage. Mais, plus important, encore, que le savoir, est la foi inébranlable.
« Nous avons bel et bien créé l’homme, et Nous savons ce que son âme lui suggère; et Nous sommes plus proches de lui que sa veine jugulaire. » (Coran 50:16)
Quelques semaines plus tard, je pris enfin ma décision. Après deux ans et demi, je décidai d’embrasser l’islam. Ce qui m’amena à prendre cette décision fut la pensée que si je mourais subitement, je ne saurais comment expliquer à Dieu le fait que je n’étais pas encore musulmane au moment de ma mort alors que je savais que l’islam était la vérité. Je compris que je n’avais plus aucune raison de remettre cela à plus tard et que la seule chose logique à faire était de prononcer la shahadah (profession de foi) : « J’atteste que nulle autre divinité que Dieu ne mérite d’être adorée et que Mohammed est Son prophète. »